Sujets épineux : Un examen des conflits de planeurs au Canada

par Nicolas van Aalst, Sécurité et qualité, NAV CANADA

Nicholas (Nick) van Aalst est un contrôleur de la circulation aérienne affecté à Sécurité et qualité chez NAV CANADA et un étudiant diplômé de la Embry-Riddle Aeronautical University, a précédemment été professeur à la Mount Royal University et est titulaire d’une licence de pilote professionnel, d’une qualification de vol aux instruments de groupe 1, ainsi que d’une licence de pilote de planeur.

L’auteur remercie Jonathan Histon, Ph. D., gestionnaire, Performance humaine, et l’ensemble du Service de la sécurité et de la qualité de NAV CANADA pour l’élaboration d’articles et l’expertise en la matière. Des remerciements supplémentaires sont envoyés au capitaine Ashley Gaudet de la 2e Division aérienne du Canada, ainsi qu’à monsieur David Donaldson de l’Association canadienne de vol à voile.

La correspondance concernant cet article peut être adressée à NAV CANADA et à Sécurité et qualité par l’entremise de Nicholas.vanaalst@navcanada.ca.

Sujets épineux

En fin de matinée du 12 août 2022, un Boeing 767-375ER effectuait une approche du système d’atterrissage aux instruments vers la piste 12 de l’aéroport d’Hamilton (Ontario) lorsqu’un planeur a rapidement obstrué le pare-brise de l’équipage, forçant l’équipage du 767 à prendre des mesures d’évitement, ce qui l’a fait passer assez près pour observer clairement le pilote du planeur. Heureusement, les deux aéronefs ont été en mesure de poursuivre leur vol et d’effectuer des atterrissages normaux sans autre incident (Aviation Safety Network, 2022). Cet événement illustre les défis et l’importance de la résolution de conflits et des interactions entre les opérations des planeurs et les autres utilisateurs de l’espace aérien.

L’équipe de Sécurité et qualité (S et Q) de NAV CANADA a déterminé que les opérations de planeur sont un moteur de conflits avec un risque accru de collision dans les espaces aériens contrôlés. Plusieurs caractéristiques de l’exploitation des planeurs contribuent à ce facteur de risque, y compris les contraintes sur la performance humaine, les limites opérationnelles du contrôle de la circulation aérienne, y compris les exigences de l’espace aérien, ainsi que les limites imposées aux équipages et leurs exigences opérationnelles. Dans des combinaisons diverses et dynamiques de ces facteurs, le résultat peut rendre un état dégradé de connaissance de la situation et de modélisation mentale collective conduisant à un accident. Grâce à la sensibilisation à ce type de conflit, cet article donnera un aperçu de certaines des conditions préalables à des événements, comme ceux qui se sont produits à l’aéroport d’Hamilton, et fournira aux lecteurs des pratiques exemplaires de prévention fondées sur les intérêts.

Contexte

Le 28 août 2006, un Hawker 800XP en descente près de Reno (Nevada), est entré en collision avec un planeur Schleicher ASW 27, comme le montre la figure 1, à environ 16 000 pi ASL. Selon le rapport du National Transportation Safety Board (NTSB) (Charnon, 2008), [traduction] « [...] les dommages subis par le Hawker ont mis hors service un moteur et d’autres systèmes; toutefois, l’équipage de conduite a réussi à faire atterrir l’aéronef. Le planeur endommagé était incontrôlable, et le pilote du planeur a sauté hors de l’appareil et s’est parachuté au sol » (p. 1). Les conclusions du NTSB indiquaient que la vitesse de rapprochement entre les aéronefs rendait l’évitement des collisions improbable, voire impossible, une fois que le conflit était devenu apparent. De plus, l’absence de signal de transpondeur du planeur a entraîné une dégradation de l’état de la connaissance de la situation par le contrôle de la circulation aérienne (ATC) et l’équipage, ce qui a contribué à l’accident.

Méthode

Le service de S et Q a effectué un examen des zones de conflit probables avec des planeurs au Canada, y compris les exigences en matière de transpondeur et de prestation de services d’ATC. Cette analyse a examiné plus en détail les emplacements d’exploitation, y compris les espaces aériens adjacents et les interactions avec les intervenants. De plus, l’examen a exploré les limites des principes « voir et être vu » et « voir et éviter » associés aux conditions météorologiques de vol à vue pour les aéronefs qui effectuent des vols selon les règles de vol à vue (VFR) et les règles de vol aux instruments (IFR).

Figure 1 : Planeur Schleicher ASW 27 (Münch, s.d.)

Figure 2 : Hawker 800XP à la suite d’une collision en vol avec un planeur
(National Transportation Safety Board, 2006)

À partir de cet examen, trois éléments clés des conflits, y compris leurs relations, ont été identifiés et résumés ci-dessous, ainsi que dans la figure 3.

  1. Limites de la performance humaine
  2. Limites opérationnelles de l’ATC
  3. Limites opérationnelles de l’équipage de l’aéronef

Lorsque les limites de la figure 3 se chevauchent et interagissent les unes avec les autres, les conflits sont plus susceptibles de se produire. Les sections suivantes décrivent ces interactions plus en détail.

Limites de la performance humaine

Le sujet de la performance humaine est une conversation interdisciplinaire nécessitant une compréhension de la connaissance de la situation et de la cécité inattentionnelle, de pas remarquer un élément inattendu mais parfaitement visible parce que trop d’éléments mobilisent déjà notre attention, affectant la modélisation mentale.

Figure 3 : Relations et interactions des facteurs de risque

Connaissance de la situation

La connaissance de la situation (CS) comprend généralement trois niveaux : détection, compréhension et prédiction. D’abord et avant tout, la détection exige que l’équipage de l’aéronef et l’ATC détectent l’information concernant l’environnement. Deuxièmement, l’équipage de l’aéronef et l’ATC doivent comprendre la signification de l’information, ce qui mène ultimement au troisième niveau de connaissance de la situation : la prévision des besoins futurs.

En réfléchissant aux événements de Reno (Nevada) et d’Hamilton (Ontario), ce qui est évident, c’est que la CS n’était pas complète avant que les planeurs ne soient repérés. Cependant, la CS a été rapidement rétablie, bien qu’avec des résultats variés; ce sachant, le temps est le facteur critique dans la résolution des conflits.

Cécité inattentionnelle

Alors que les niveaux de CS sont fondés sur notre capacité à percevoir le monde qui nous entoure, un phénomène tel que la cécité inattentionnelle, implique de ne pas observer ce qui peut être considéré comme évident. De même, il est plausible que la capture cognitive puisse favoriser une fixation sur une tâche, un objet ou même une pensée, au détriment de la CS.

Ce qui ressort des intervenants, c’est que les planeurs forment rarement une composante de la CS, en grande partie en raison de la faible menace associée aux planeurs et d’un parti pris en faveur des aéronefs à moteur lors de la surveillance de la circulation. De plus, les recherches indiquent que la coloration discrète des objets peut jouer un rôle dans la cécité inattentionnelle. Lorsqu’on applique cette théorie à des planeurs de conception à profil bas, principalement de couleur blanche, la capacité d’identifier visuellement les planeurs est réduite.

Limites opérationnelles de l’ATC

On se fie souvent à l’ATC pour obtenir de l’information sur la circulation afin d’augmenter la CS de l’équipage de l’aéronef. Simultanément, des instructions de contrôle et des autorisations sont fournies en fonction de la circulation connue avec un radar de surveillance secondaire dérivé d’un transpondeur et des données de surveillance spatiales. Toutefois, en vertu de l’article 605.35 du Règlement de l’aviation canadien, les planeurs sont autorisés à circuler dans des segments importants de l’espace aérien intérieur canadien sans transpondeur ni équipement de codage d’altitude. De fait, cela rend les planeurs invisibles dans de vastes zones de l’espace aérien, avec seulement des échos radar primaires occasionnels possibles, qui peuvent représenter n’importe quel genre d’objets, y compris, mais sans s’y limiter, les oiseaux.

De plus, étant donné que les échos radar primaires ne fournissent pas d’information sur l’altitude et que les échos du radar primaire sont assez fréquents, il peut être difficile pour l’ATC de fournir des renseignements pertinents sur la circulation, en particulier en raison de la charge de travail. Pour mieux gérer sa charge de travail, l’ATC peut se fier fortement aux altitudes pour séparer la circulation aérienne, par exemple lorsque les équipages des aéronefs respectent les altitudes normalisées en fonction des règles de vol et de la direction du vol. Cependant, la nuance et l’incapacité des planeurs à maintenir des altitudes constantes signifient que les planeurs traversent les altitudes des aéronefs IFR et VFR, ce qui suggère qu’il y a un large éventail d’altitudes où des conflits peuvent se produire.

Limites opérationnelles de l’équipage de l’aéronef

Après avoir exploré les concepts de performance humaine et les limites de l’ATC, les limites d’exploitation des équipages d’aéronefs dans des conditions météorologiques de vol à vue, ainsi que les publications disponibles, méritent d’être examinées.

Espacement visuel dans des conditions météorologiques de vol à vue

Qu’ils volent VFR ou IFR, les équipages d’aéronefs dans des conditions météorologiques de vol à vue s’appuient sur les mantras « voir et être vu », ainsi que « voir et éviter » pour la résolution de conflits. Parmi ceux-ci, trois éléments font surface :

  1. une surveillance de la circulation;
  2. la visibilité de l’appareil;
  3. la résolution de conflits.

Visibilité du planeur : Du point de vue d’un pilote de planeur, une surveillance de la circulation est contre-intuitivement limitée, même avec la visibilité offerte par les conceptions de la verrière. Les restrictions de visibilité comprennent l’envergure et la position des ailes, ainsi que le positionnement du siège du pilote. Comme les planeurs peuvent fonctionner pendant de longues périodes à des angles d’inclinaison élevés et à des taux de virage élevés, les pilotes de planeurs sont mis au défi de maintenir une surveillance efficace dans des environnements en évolution rapide. Par conséquent, du point de vue d’un tiers, la capacité d’observer un planeur qui gravite près de l’appareil peut être difficile, en particulier avec les conceptions à profil bas et l’absence d’éclairage anticollision.

Aéronef entraîné par moteur : Lorsqu’on en parle du point de vue des aéronefs entraînés par moteur, les obstructions physiques limitent la visibilité. Cependant, un défi plus complexe présente un conflit entre la surveillance « tête haute » des affichages et la surveillance de la circulation efficace, alors que la charge de travail dans le poste de pilotage devient de plus en plus prédominante dans les aéronefs modernes de l’aviation générale.

Résolution de conflits fondée sur le droit de passage : L’article 602.19 du Règlement de l’aviation canadien, Priorité de passage, contient des renseignements importants sur la résolution de conflit. Le plus notable dans la hiérarchie est la priorité des planeurs, ce qui pourrait rendre une certaine complaisance pour les pilotes de planeurs, bien que les conditions météorologiques de vol à vue présentent une responsabilité partagée pour la détection de la circulation et la résolution de conflits.

Publications

Un examen des publications aéronautiques, y compris les NOTAM applicables, a révélé que les opérations de vol à voile ne sont pas clairement définies et que les pilotes de planeurs ne sont pas tenus de rester confinés à l’espace aérien de classe F ou de suivre les indications des cartes de navigation VFR. Cette constatation ne se limite pas aux publications VFR, car il y a moins de clarté sur les publications IFR, y compris les STAR et les cartes d’approche, ce qui suggère que les aéronefs IFR pourraient avoir une CS réduite.

En ce qui concerne les NOTAM en particulier, un NOTAM d’exploitation de planeur publié peut servir à renforcer la complaisance des pilotes de planeur en supposant que les NOTAM sont largement et minutieusement examinés et compris.

Un scénario de conflit probable

D’après les facteurs de la figure 3, l’identification des emplacements de conflit probables au Canada exigeait que le service de S et Q explore les zones ayant des exigences mixtes en matière d’autorisations, de communication, de navigation et de surveillance de l’ATC, ainsi que d’importantes règles de vol mixtes et des éléments de performance. Un examen plus approfondi implique que cette complexité se produit plus fréquemment dans l’espace aérien de classe E, où les aéronefs VFR opèrent sans service de contrôle et où les exigences relatives aux transpondeurs varient conformément au Manuel des espaces aériens désignés. Par conséquent, l’espace aérien de classe E est un facteur probable de conflits à l’intérieur d’un espace aérien contrôlé.

Considérons ainsi le scénario de l’équipage d’un appareil IFR pendant les phases d’arrivée et d’approche du vol, descendant à travers une petite zone d’espace aérien de classe E avec une autorisation de l’ATC, avant de passer dans une zone de contrôle terminale ou une zone de contrôle. Pendant ce temps, cet équipage peut faire face à des charges de travail cognitives accrues et à des priorités concurrentes — couvrant des distances supérieures à quatre NM par min — passant dans des conditions météorologiques de vol à vue et des conditions météorologiques de vol aux instruments à travers des cumulus épars ou fragmentés, comme l’illustre la figure 4. Dans un environnement d’équipage multiple, les facteurs de charge de travail pour la surveillance par le pilote comprennent les communications directes contrôleur-pilote et d’autres tâches « tête baissée », ce qui nécessite d’importantes compétences en gestion des ressources en équipe dans le poste d’équipage.

Considérons maintenant le point de vue du pilote de planeur VFR, qui opère dans le même segment de l’espace aérien de classe E, qui s’appuie sur la montée de l’air sous un cumulus par lequel l’aéronef IFR mentionné précédemment est sur le point de passer. Dans ce scénario, en l’absence du besoin d’équipement de communication et de surveillance, les planeurs ne sont pas en mesure de contribuer à la modélisation mentale partagée de l’équipage IFR et de l’ATC, et les planeurs ne sont pas pleinement conscients de l’image de circulation connexe. C’est ici que les conditions préalables à un conflit sont présentes, et c’est ici que des conflits, comme ceux décrits précédemment à l’aéroport d’Hamilton et à Reno, peuvent se développer.

Comment avoir de la classe dans la classe E

Étant donné que la prévalence de la menace s’est présentée principalement dans l’espace aérien de classe E, y compris dans l’ensemble des voies aériennes où les équipages et l’ATC peuvent ne pas être au courant des opérations de planeur, les emplacements précis des conflits sont vastes et difficiles à prévoir. Cependant, lors de la mobilisation des intervenants avec le service de S et Q, le moment le plus percutant est peut-être venu sous la forme d’une citation philosophique [traduction] : « [...] parlez aux gens qui peuvent vous tuer! », cristallisant le concept de base selon lequel la sensibilisation et la collaboration conduisent à des initiatives de sécurité aérienne efficaces.

Figure 4 : Perspective du pilote de planeur sous un cumulus (Sosinski, 2024)

Pratiques exemplaires recommandées

Rappelant la figure 3, les pratiques exemplaires importantes ont fait ressortir le développement, le maintien et le rétablissement de la connaissance de la situation et peuvent être en grande partie divisées par perspective.

Pilotes de planeurs

  1. Ils doivent étudier l’espace aérien avant les opérations aériennes et être au courant des flux de circulation IFR et VFR, y compris les STAR et les approches aux instruments.
  2. Fournir des rapports de position fréquents et précis sur les fréquences en route.
  3. Établir des rapports avec les exploitants adjacents et les unités de l’ATC tout en respectant les accords localisés et les pratiques exemplaires.

Pilotes d’aéronefs entraînés par moteur

  1. Étudier les publications avant les opérations aériennes et se familiariser avec les aérodromes et les espaces aériens adjacents qui soutiennent les opérations de planeur.
  2. Dans la mesure du possible, surveiller la circulation sur la fréquence en route et fournir des rapports de position.
  3. Faire preuve de discernement et d’esprit critique au moment d’effectuer la surveillance de la circulation dans des conditions météorologiques de vol à vue.

Contrôleurs de la circulation aérienne

  1. Dans la mesure du possible, fournir de l’information sur la circulation connue et non vérifiée, y compris les cibles principales qui sont persistantes ou stables, dans les zones où des planeurs peuvent être présents.
  2. Établir un rapport avec les exploitants de planeurs afin de les consulter et de les informer quant aux impacts sur l’exploitation.
  3. Au besoin, élaborer, vérifier et valider des procédures localisées pour l’exploitation des planeurs.

Conclusion

Ce que l’examen du service de S et Q a montré, c’est que les conflits de planeurs sont entraînés par trois facteurs habilitants clés : les limites et les exigences opérationnelles humaines, de l’ATC et de l’équipage. Une connaissance de la situation encore moins bonne est celle des aéronefs exploités sans transpondeur, comme c’est le cas pour de nombreux planeurs au Canada. Par conséquent, les pratiques exemplaires en matière de résolution de conflits doivent avoir lieu avant et pendant les opérations, y compris de communications fréquentes et efficaces, ainsi que la participation des intervenants. Ces pratiques sont essentielles pour prévenir les conflits aériens comme ceux qui se sont produits à l’aéroport d’Hamilton et les incidents comme celui à Reno, et peuvent avoir des avantages plus vastes pour l’écosystème de l’aviation au Canada.

Références