Facteurs de rendement humain pour les travaux et la maintenance élémentaires

Étude de cas nº 4 : incendie en vol dans le logement du train d'atterrissage

Rapport du Bureau de la sécurité des transports du Canada nº A98Q0087

Swearingen SA226-TC
Aéroport international de Mirabel/Montréal (Québec)
Le 18 juin 1998

Résumé

Vers 0701, heure avancée de l'Est, un Fairchild-Swearingen Metro II (SA226-TC), numéro de série TC 233, a décollé de l'aéroport international de Montréal (Dorval) au Québec à destination de l'aéroport de Peterborough (Ontario), avec à son bord neuf passagers et deux membres d'équipage. Près de 12 minutes après le décollage, à une altitude de 12 500 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl), l'équipage a avisé le contrôle de la circulation aérienne (ATC) qu'il avait un problème hydraulique et a demandé l'autorisation de revenir vers Dorval, ce qui lui a été accordé par l'ATC. Vers 0719, à 8 600 pieds asl, l'équipage a informé l'ATC que le moteur gauche venait d'être coupé parce qu'il était en feu. Vers 0720, l'équipage a décidé de se diriger vers l'aéroport international de Montréal (Mirabel) au Québec. à 0723, l'équipage a avisé l'ATC qu'il n'y avait plus d'incendie de moteur. Alors que l'appareil était établi en finale pour la piste 24, l'équipage a informé l'ATC que le moteur gauche était de nouveau en feu. L'équipage a sorti le train d'atterrissage en courte finale, et, alors que l'appareil était au-dessus de la piste, l'aile gauche s'est rompue vers le haut. Le fuselage a pivoté de plus de 90o vers la gauche autour de l'axe longitudinal de l'appareil avant de heurter le sol. Les 11 occupants de l'appareil ont subi des blessures mortelles.

Autres renseignements de base

Pendant la phase d'accélération au sol, l'appareil avait tendance à se diriger vers la gauche de l'axe de piste, et il a fallu appuyer sur le palonnier droit pour maintenir l'axe de décollage. Deux minutes plus tard, l'équipage a été autorisé à monter à l'altitude de 16 000 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl).

à 0713, l'équipage a signalé au contrôleur qu'il venait d'observer une chute de pression hydraulique et a demandé l'autorisation de revenir à l'aéroport de départ, Dorval. Le contrôleur a autorisé aussitôt l'équipage à faire un virage de 180° suivi d'une descente à 8 000 pieds asl. Pendant ce temps, l'équipage a indiqué qu'il n'y avait pas d'urgence à bord pour le moment. L'appareil a amorcé son virage 70 secondes après avoir reçu l'autorisation.

à 0713:36, il y a eu un problème avec les commandes. Peu après, il y a eu une première indication de problème de moteur, et le voyant de surchauffe de l'aile gauche s'est allumé quelque 40 secondes après. Dans les 30 secondes suivantes, sans qu'on prenne, semble-t-il, aucune mesure de la liste de vérifications, le voyant de surchauffe s'est éteint.

à 0718:12, l'équipage a coupé le moteur gauche qui semblait en feu. Moins d'une minute plus tard, le commandant a pris les commandes de l'appareil. Les commandes de vol ne répondaient pas normalement, en ce sens qu'il n'est pas normal qu'il soit nécessaire d'exercer autant de pression sur l'aileron droit pour maintenir le cap.

à 0719:19, l'équipage a informé le contrôle de la circulation aérienne (ATC) que le moteur gauche avait été coupé et, après une deuxième suggestion de l'ATC, l'équipage a accepté de se diriger vers Mirabel au lieu de Dorval. Moins de 90 secondes plus tard, l'équipage a informé l'ATC que des flammes s'échappaient de la tuyère du moteur. On a préparé l'appareil pour un atterrissage d'urgence et on a revu la procédure d'urgence pour la sortie manuelle du train d'atterrissage. 

à 0723:10, l'équipage a informé l'ATC qu'il n'y avait plus de feu au moteur gauche, mais trois minutes et demie plus tard, l'équipage a informé l'ATC que le feu avait repris. Pendant ce temps, l'appareil devenait plus difficile à contrôler en roulis, et l'équipage utilisait le compensateur d'aileron au maximum. Vers 0727, alors que l'appareil était en courte finale pour la piste 24L, l'équipage a sélectionné le levier du train d'atterrissage, mais seulement deux des voyants lumineux confirmant que les roues du train étaient sorties se sont allumées. Près du seuil de piste, l'aile gauche s'est rompue vers le haut. L'appareil a amorcé alors une rotation vers la gauche de plus de 90o autour de l'axe longitudinal et s'est écrasé sur le dos sur la piste. L'appareil a pris aussitôt feu et a glissé sur une distance de 2 500 pieds avant de s'immobiliser sur le côté gauche de la piste. Les pompiers qui se trouvaient près du seuil de piste au moment de l'écrasement sont intervenus rapidement. L'incendie a été rapidement maîtrisé, mais tous les occupants ont subi des blessures mortelles. 

Circuit hydraulique de l'aéronef

Le circuit hydraulique de l'aéronef - qui ne comprend pas le circuit de freinage - fournit la pression pour actionner les volets et le train d'atterrissage lors d'une opération normale et pour sortir le train d'atterrissage en situation d'urgence. Le liquide hydraulique approuvé pour le circuit hydraulique de l'aéronef est le MIL-H-83282. Le liquide approuvé pour les jambes (à amortisseur) de train d'atterrissage est le MIL-H-5606. 

à 0712, il y a eu des indications d'une défaillance du circuit hydraulique principal. Les voyants L HYD PRESS et R HYD PRESS se sont allumés, et il y a eu une chute de pression hydraulique. Il a été décidé de retourner à Dorval et, quand cela serait nécessaire, d'utiliser la procédure qui permet de sortir le train d'atterrissage manuellement. Pendant le virage pour retourner à Dorval, les commandes de vol ne semblaient pas fonctionner normalement, le voyant lumineux de l'allumage automatique du moteur gauche ( IGNITION MODE - AUTO FUNCTION) s'est allumé, et il y a eu une indication de surchauffe de l'aile gauche.

Analyses des liquides hydrauliques

Des analyses des liquides hydrauliques prélevés sur l'avion ont été effectuées. Des échantillons du liquide hydraulique ont aussi été prélevés dans d'autres aéronefs du transporteur, dans un générateur hydraulique roulant ainsi que dans d'autres aéronefs n'appartenant pas au transporteur aérien. Les analyses ont été effectuées par le Centre d'essais techniques de la qualité de la Défense nationale, situé à Ottawa (Ontario). Les analyses chimiques ont révélé ce qui suit :

  • Le liquide de frein MIL-H-83282 de l'aéronef contenait 34 % de liquide MIL-H-5606.

  • Le liquide MIL-H-83282 du circuit hydraulique de l'aéronef contenait 14 % de liquide MIL-H-5606.

  • Le liquide MIL-H-5606 dans la jambe du train d'atterrissage de gauche de l'aéronef contenait 5 % de liquide MIL-H-83282.

  • Le liquide MIL-H-5606 dans la jambe du train avant de l'aéronef contenait 14 % de liquide MIL-H-83282.

  • Le générateur hydraulique roulant contenait du liquide hydraulique de type MIL-H-83282 qui contenait 17 % de MIL-H-5606. Ce générateur est utilisé pour faire le plein des liquides de l'aéronef.

  • Les freins d'un autre appareil exploité par le transporteur contenaient 29 % de liquide MIL-H-5606, et son circuit hydraulique contenait 18 % de liquide MIL-H-5606.

  • Un appareil exploité par un autre transporteur aérien contenait du liquide MIL-H-83282 et 13 % de liquide MIL-H-5606.

De façon générale, le mélange de liquides hydrauliques avait les qualités du liquide MIL-H-83282 : la même odeur, le même aspect, le même toucher, la même viscosité, etc. Toutefois, la contamination par du liquide MIL-H-5606 dans un circuit hydraulique contenant du liquide MIL-H-83282 a pour effet d'abaisser le point d'éclair du liquide.

Indication de surchauffe de l'aile

L'équipage a noté une indication de panne hydraulique, des problèmes de commande et des problèmes avec le moteur gauche, et le voyant de surchauffe de l'aile s'est allumé et est resté allumé, le tout en moins de deux minutes. Dans les 30 secondes après que le voyant de surchauffe de l'aile se soit allumé, le voyant s'est éteint, sans que l'équipage ait  apparemment pris aucune mesure de la liste de vérifications. Rien ne permet de croire que l'équipage ait entrepris les mesures de la liste de vérifications de surchauffe de l'aile : on a retrouvé les deux commutateurs de prélèvement d'air sur la position ON et le train d'atterrissage n'a pas été sorti avant que l'avion n'ait été en approche finale.

Analyse

L'enquête a établi que les freins du train d'atterrissage gauche ont surchauffé durant la circulation au sol et le décollage, ce qui a provoqué un incendie dans la nacelle après la rentrée du train d'atterrissage. L'incendie s'est propagé dans la structure de l'aile, qui s'est alors rompue durant l'approche finale en vue de l'atterrissage.

Causes et facteurs contributifs

Faits établis

  1. L'équipage n'a pas réalisé que le tiraillement vers la gauche et que la course au décollage plus longue étaient dus au frottement des freins gauches de l'avion, ce qui a provoqué une surchauffe des composants des freins.

  2. Le frottement des freins gauches a fort probablement été causé par un facteur de verrouillage de pression non identifié en amont des freins pendant le décollage. Le frottement a causé une surchauffe et une fuite, probablement au niveau de l'un des joints d'étanchéité qui retiennent le liquide hydraulique du circuit de freinage.

  3. En s'écoulant sur les composants chauds des freins, le liquide hydraulique a pris feu et a provoqué un violent incendie dans la nacelle gauche, ce qui a donné lieu à une défaillance du circuit hydraulique principal.

  4. Quand le voyant de surchauffe de l'aile gauche L WING OVHT s'est éteint, le problème de surchauffe avait semblé réglé, mais le feu continuait de faire rage.

  5. L'équipage n'a pas réalisé que les multiples défaillances auxquelles il était confronté étaient liées à un incendie dans le logement du train d'atterrissage et il n'a pas réalisé la gravité de la situation.

  6. L'aile gauche a été affaiblie par l'incendie de l'aile et du moteur et elle s'est rompue, rendant l'appareil incontrôlable.

Faits établis quant aux risques

  1. On compte de nombreux cas de surchauffe des freins et d'incendie dans le logement de train sur les avions SA226 et SA227 avec des conséquences potentielles presque aussi tragiques que celles-ci. Les équipages de ces appareils ne sont pas tous au courant des nombreux problèmes de surchauffe des freins et d'incendie dans le logement de train de ces avions.

  2. Le manuel de vol de l'avion et la liste de vérifications d'urgence ne fournissent aucune information sur la possibilité de surchauffe des freins, sur les précautions à prendre pour prévenir la surchauffe des freins et sur les signes qui pourraient indiquer un problème de freins, et ils ne mentionnent aucune mesure à prendre quand l'équipage pense que les freins ont surchauffé. 

  3. S'il y avait eu des exigences plus strictes en matière d'éléments coupefeu, la combustion des sièges aurait été retardée et les risques liés à l'incendie pour les occupants de l'appareil auraient été atténués. 

  4. Le mélange de deux types de liquide hydraulique a abaissé la température d'auto-inflammation à un niveau inférieur à celui du point d'éclair du liquide MIL-H-83282 à l'état pur.

  5. Le manuel de maintenance de l'aéronef indiquait que les deux liquides hydrauliques étaient compatibles, mais il n'indiquait pas qu'en les mélangeant, on diminuait leur résistance au feu. 

Autres faits établis

  1. Les maîtres-cylindres ne portaient pas tous le même numéro de pièce, ce qui rendait plus compliqués la tringlerie et leurs réglages, de même que le fonctionnement général du circuit de freinage; la recherche d'une cause en cas de panne du circuit de freinage était également plus difficile.  Toutefois, rien ne permet de croire que cette situation ait pu causer une pression de freinage résiduelle.

  2. Les maîtres-cylindres recommandés les plus récents ne doivent utiliser que les numéros de pièce spécifiques à l'ensemble de freinage concerné, ce qui permet de simplifier les réglages, le fonctionnement et la recherche de cause de panne. 

  3. L'équipage n'a pas sorti le train d'atterrissage comme l'exige la liste de vérifications d'urgence en cas de surchauffe de l'aile parce que le voyant de surchauffe de l'aile s'est éteint avant que l'équipage n'amorce les procédures de la liste de vérifications.

  4. Les ailerons étaient difficiles à déplacer à cause de l'incendie dans le logement de train, mais la cause exacte de la difficulté n'a pas été déterminée.

Mélange de liquides hydrauliques

L'analyse du liquide provenant du circuit hydraulique principal et du circuit de freinage de l'avion accidenté a révélé qu'il était constitué d'un mélange de liquides hydrauliques MIL-H-83282 et MIL-H-5606. Ces liquides hydrauliques sont presque de la même couleur et de la même consistance. Le mélange avait un point d'éclair d'environ 114o C (239o F).

La spécification pour les SA226/SA227 exigeait à l'origine que le liquide MIL-H-5606, dont le point d'éclair minimal est de 82o C, soit utilisé dans le circuit hydraulique principal et le circuit de freinage. Toutefois, à la suite de deux accidents causés par un incendie dans le poste de pilotage de deux SA226-TC Metroliner II de Swearingen lié à du liquide hydraulique MIL-H-5606, la FAA a publié la consigne de navigabilité 83-19-02 applicable à certains avions de la série SA226 de Swearingen, dont l'avion accidenté à Mirabel. La consigne de navigabilité exigeait que les exploitants vident et purgent les réservoirs des circuits hydraulique principal et de freinage, les remplissent avec le liquide hydraulique MIL-H-83282 dont le point d'éclair minimal est de 205o C, et remplacent les affichettes sur les deux réservoirs pour indiquer qu'ils contiennent du liquide MIL-H-83282. L'avion accidenté était équipé des affichettes prescrites par la consigne de navigabilité 83-19-02.

Les instructions de maintenance en vigueur spécifient que le liquide MIL-H-83282 doit être utilisé dans le circuit hydraulique principal et le circuit de freinage de l'avion. Toutefois, il n'est pas indiqué que le liquide MIL-H-83282 est utilisé en raison de la température supérieure à laquelle ses vapeurs s'enflamment, ni qu'un mélange des liquides MIL-H-83282 et MIL-H-5606 peut avoir un point d'éclair considérablement inférieur aux 205o C du liquide hydraulique MIL-H-83282 à l'état pur. étant donné que le liquide MIL-H-5606 était le liquide spécifié à l'origine pour les avions SA226/SA227, que les liquides MIL-H-5606 et MIL-H-83282 ont à peu près la même apparence et que la plupart de leurs propriétés sont les mêmes, et qu'il n'y a aucune mise en garde sur les conséquences résultant de l'utilisation d'un  mélange des deux liquides, le Bureau croit que le liquide hydraulique MIL-H-5606 est utilisé par erreur par certains exploitants aériens et techniciens d'entretien d'aéronef comme liquide hydraulique de remplacement dans les circuits nécessitant du liquide hydraulique MIL-H-83282. En conséquence, compte tenu du danger accru d'incendie dans les avions SA226/SA227 de Fairchild/Swearingen résultant d'une mauvaise utilisation du liquide hydraulique MIL-H-5606, le Bureau a recommandé que :

Transports Canada, compte tenu de l'urgence de la situation, avise tous les exploitants canadiens des avions SA226 et SA227 de Fairchild/Swearingen de l'importance et de la nécessité d'utiliser uniquement du liquide hydraulique MIL-H-83282 dans le circuit hydraulique principal et le circuit de freinage de ces avions; et que

Transports Canada, en collaboration avec la Federal Aviation Administration et le constructeur de l'avion, revoit la pertinence des normes, des procédures, des manuels et des pratiques de maintenance en vigueur pour les avions SA226 et SA227 de Fairchild/Swearingen pour assurer que seul le liquide hydraulique MIL-H-83282 est utilisé dans le circuit hydraulique principal et le circuit de freinage de ces avions.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le 2 avril 2002.

Facteurs humains contributifs

Les principaux facteurs humains en cause dans cet accident sont les suivants : 

  • erreur de jugement : les membres de l'équipage n'étaient pas conscients de la cause possible de la longueur excessive du décollage, ou du fait que les problèmes subséquents aient résulté d'un incendie dans le logement du train d'atterrissage. Ils ne se sont pas rendus compte de la gravité de la situation;

  • manque de ressources : le manuel de vol de l'aéronef et la liste de vérification des procédures d'urgence ne donnent aucune information sur la possibilité d'une surchauffe des freins, sur les symptômes indiquant des problèmes de freins, ou sur les mesures à prendre si on soupçonne une surchauffe des freins. De plus, le manuel de maintenance de l'aéronef indiquait que les deux liquides hydrauliques étaient compatibles, mais ne disait pas que leur mélange réduirait leur résistance à l'inflammation;

  • manque de connaissances : les équipages de ces aéronefs ne sont pas tous au courant des nombreux problèmes de surchauffe ou d'inflammation des freins que ces appareils ont connus.