Résumé de recherche – Analyse par éléments finis des attelages violents de wagons-citernes

Contexte

Lorsque deux (2) wagons sont attelés l’un à l’autre à grande vitesse, il est possible que les forces exercées par cet attelage violent endommagent l’un ou l’autre des wagons. L’article 10.7 du Règlement sur le transport des marchandises dangereuses (RTMD) limite la vitesse d’attelage permise des wagons transportant des marchandises dangereuses pour lesquelles une plaque est requise (tableau 1). Si un événement d’attelage se produit à des vitesses dépassant cette limite, il est obligatoire de cesser d’utiliser le wagon jusqu’à ce qu’il puisse être inspecté.

Tableau 1. Vitesse maximale d’attelage des wagons-citernes, tel qu’il est spécifié à l’article 10.7 du RTMD.

Masse d’attelage combinée (kg) Température ambiante Vitesse d’attelage relative
> 150 000 ≤ -25°C [-13°F] > 9,6 kph [6 mi/h]
> 150 000 > -25°C [-13°F] > 12 kph [7,5 mi/h]
≤ 150 000 ≤ -25°C [-13°F] > 12,9 kph [8 mi/h]
≤ 150 000 > -25°C [-13°F] > 15,3 kph [9,5 mi/h]

Ces limites sont fondées sur des simulations par éléments finis (EF) de longrines centrales tronquées et des modélisations d’impacts réalisée par le Conseil national de recherches Canada (CNRC) dans les années 1990 à la demande de Transports Canada (TC).

Depuis ce temps, des progrès significatifs ont été réalisés dans les essais à l’échelle réelle d’attelages violents de wagons-citernes. Plus particulièrement, en 2020, la Federal Railroad Administration (FRA) du département des Transport des États-Unis a publié ses travaux sur des essais expérimentaux à l’échelle réelle des impacts d’attelages de wagons-citernes Footnote [1] qui fournissent des données précieuses sur la force, la vitesse et la déformation. Il y a également eu de nombreux progrès dans les ressources informatiques, la modélisation des matériaux et la simulation par éléments finis qui peuvent être incorporés dans l’analyse d’attelages violents de wagons-citernes.

Ce contexte offre l’occasion de réévaluer l’efficacité des limites de vitesse d’attelage du RTMD à l’aide des données détaillées sur les matériaux, des résultats d’essais en conditions réelles et des logiciels disponibles aujourd’hui.

Objectifs

L’objectif de la présente étude est de déterminer si les limites de vitesse actuelles du RTMD concernant l’attelage des wagons sont efficaces pour prévenir les dommages causés par les événements d’attelage violent à haute vitesse.

TC a demandé à RNCan – CanmetMATÉRIAUX de créer une mise à jour du modèle par EF d’un wagon-citerne pour simuler les impacts d’un attelage, en mettant particulièrement l’accent sur l’ensemble de la longrine centrale tronquée et les effets à basse température (jusqu’à -40 °C).

Des essais limités sur les matériaux ont également été effectués pour évaluer l’importance d’utiliser les propriétés de l’acier ASTM A572 (un matériau couramment utilisé dans la fabrication des longrines centrales tronquées) pour modéliser une longrine centrale tronquée, plutôt que de supposer que l’ensemble du wagon est fait d’acier TC128B.

Méthodes

Un modèle par EF à l’échelle réelle (figure 1) a été conçu, validé et utilisé pour simuler les impacts d’attelages violents de wagons-citernes. Cette analyse est fondée sur un modèle simplifié qui suppose que la longrine centrale tronquée est dans un état idéal, sans défauts intégrés dans la structure, et le matériau de soudure n’est pas modélisé – le modèle considère le cas idéal plutôt que le pire cas et vise à étayer de futures recherches.

Modèle par éléments finis d’un wagon-citerne à l’échelle réelle avec conditions limites symétriques

Figure 1. Modèle par éléments finis d’un wagon-citerne (wagon-butoir) à l’échelle réelle avec conditions limites symétriques.

Le modèle de matériau utilisé dans le modèle par EF est fondé sur les essais approfondis existants de l’acier TC128B à diverses températures et vitesses de déformation effectués précédemment par CanmetMATÉRIAUX Footnote [2]. Le modèle par EF a été mis à jour pour tenir compte de la rupture fragile à basse température en utilisant un critère de contrainte principale maximale. Dans les deux cas, la contrainte principale maximale du modèle a été surveillée et comparée à la résistance du matériau pour déterminer si une déformation plastique ou une rupture s’est produite.

Afin d’examiner les effets de l’hypothèse selon laquelle la structure entière est faite d’acier TC128B, on a effectué des essais mécaniques limités sur un matériau commun de longrine centrale tronquée, soit l’acier ASTM A572. Des essais de traction et des essais Charpy à 25 °C et -40 °C ont été effectués sur l’acier ASTM A572 afin de pouvoir le comparer directement aux mêmes données pour l’acier TC128B.

Des données d’essais à l’échelle réelle ont été fournies par la FRA Footnote [1], par l’intermédiaire de TC, et ont été utilisées pour calibrer et valider le modèle par EF. Les principales entrées étaient les forces d’attelages et les déformations correspondantes. Le tableau 2 détaille les huit (8) scénarios utilisés dans cette étude. Le modèle par EF a été exécuté pour chacun de ces huit (8) scénarios à la température ambiante de 25 °C et à la basse température de -40 °C pour générer les forces d’impact résultantes.

Tableau 2. Scénarios d’impact fournis par la FRA et utilisés pour calibrer et valider le modèle par EF. La configuration est celle d’un wagon marteau heurtant un wagon-butoir plein.

Scénario Wagon marteau Appareil de traction Vitesse
1 Vide Friction de l’acier 9,66 kph (6 mi/h)
2 Vide Friction de l’acier 16,09 kph (10 mi/h)
3 Partiellement plein Friction de l’acier 9,66 kph (6 mi/h)
4 Partiellement plein Friction de l’acier 16,09 kph (10 mi/h)
5 Plein Friction de l’acier 9,66 kph (6 mi/h)
6 Plein Friction de l’acier 16,09 kph (10 mi/h)
7 Plein Ensemble combiné 9,66 kph (6 mi/h)
8 Plein Ensemble combiné 16,09 kph (10 mi/h)

Pour optimiser la modélisation d’une simulation à l’échelle réelle, tout en tenant compte avec précision de l’influence de petites zones localisées à fortes contraintes, une stratégie de modélisation en deux (2) étapes a été adoptée. Tout d’abord, un maillage grossier a été utilisé dans les simulations à l’échelle réelle pour déterminer quelles sont les zones de forte contrainte, puis un sous-modèle avec un maillage fin a été exécuté sur ces zones plus petites pour augmenter la précision de la modélisation (figure 2).

(a)

a coarse mesh is applied to the stub sill

(b)

les zones de forte contrainte sont déterminées

(c)

un maillage fin est appliqué pour augmenter la précision dans ces zones

Figure 2. Visualisation de la stratégie de modélisation en deux étapes, où un maillage grossier est appliqué à la longrine centrale tronquée (a), les zones de forte contrainte sont déterminées (b), puis un maillage fin est appliqué pour augmenter la précision dans ces zones (c).

Résultats

Les résultats de l’analyse par EF concordent bien avec les résultats des essais de la FRA Footnote [1]. La figure 3 montre une comparaison représentative des déformations expérimentales et prédites par l’analyse par EF à divers endroits du wagon-citerne.

Comparaisons de la déformation expérimentale et de la déformation prédite par l’analyse par EF

Figure 3 : Comparaisons de la déformation expérimentale (rouge) et de la déformation prédite par l’analyse par EF (bleu) pour le scénario 6 (vitesse d’impact : 16,09 km/h (10 mi/h)), avec une jauge de déformation embarquée installée sous le wagon à l’extrémité de la poutre de la longrine centrale tronquée.

Les résultats des essais de l’acier ASTM A572 ont révélé que le l’acier TC128B est plus performant, notamment en ce qui a trait à la résistance aux chocs. Cela n’était pas surprenant, en grande partie à cause des différences connues dans le traitement thermique des deux (2) aciers – dans la construction typique de wagons-citernes, l’acier TC128B est normalisé, alors que l’acier ASTM A572 est utilisé à l’état brut tel que laminé dans la construction de longrines centrales tronquées.

Les résultats de l’essai de Charpy sont particulièrement importants. À -34 °C, le CVN (essai de ténacité par encoche en V de Charpy, représentant la ténacité à la rupture) de l’acier ASTM A572 est inférieur d’environ 10 % à l’acier TC128B. Les courbes de charge par rapport au déplacement (figure 4) illustrent que, bien que les deux (2) matériaux puissent supporter des charges similaires avant de céder, l’acier ASTM A572 cède beaucoup plus rapidement tandis que le l’acier TC128B « tient » plus longtemps et absorbe plus d’énergie avant de céder. Cela laisse entendre que l’acier TC128B est le matériau supérieur lorsqu’on considère la capacité de survie aux impacts. Cependant, la différence n’est pas si importante, c’est pourquoi le modèle a été simplifié en modélisant les matériaux du wagon-citerne et de la longrine centrale tronquée en acier TC128B.

Courbes de charge par rapport au déplacement

Figure 4. Courbes de charge par rapport au déplacement pour l’acier ASTM A572 (rouge) et l’acier TC128B (noir) à 24 °C.

Les résultats des huit (8) cas étudiés à partir du tableau 2 sont résumés dans le tableau 3 ci-dessous par contrainte et déformation maximales dans la longrine centrale tronquée. Aucun scénario avec une charge de pointe inférieure à 1 000 kips (4 448 kN) n’a produit de déformation plastique, ce qui correspond à la charge de compression de 1 000 000 livres requise [Footnote 3, Footnote 4] pour certains wagons de marchandises. Un (1) seul scénario avec une vitesse d’impact de 6 mi/h a présenté une déformation plastique, bien que la magnitude ait été suffisamment faible pour être considérée comme négligeable. Les déformations plastiques observées dans les cas à 10 mi/h étaient très petites et localisées, ce qui signifie que la contrainte observée à ces endroits dépassait la limite d’élasticité du matériau. Aucun des cas n’a donné lieu à une initiation de dommages. Rien n’indique qu’un (1) seul événement d’attelage violent à ces vitesses (6-10 mi/h) entraînerait des dommages à un wagon-citerne précédemment non endommagé aux températures étudiées (25 °C et 40 °C).

Tableau 3. Contrainte maximale et déformation plastique à partir de scénarios d’impact.

Scénario Contrainte maximale (MPa) Charge maximale Déformation plastique [25 °C/-40 °C]
1 382 3733 kN / 839 kips Aucune/ Aucune
2 601 7980 kN / 1793 kips 3.27e-3/2.40e-3
3 487 4845 kN / 1089 kips 3.82e-5/8.83e-6
4 637 9476 kN / 2130 kips 6.17e-3/4.92e-3
5 230 2286 kN / 514 kips Aucune/ Aucune
6 560 6427 kN / 1445 kips 1.2e-3/7.20e-4
7 254 2511 kN / 565 kips Aucune/ Aucune
8 587 9178 kN / 2063 kips 6.53e-3/5.26e-3

Les déformations sont légèrement inférieures pour les simulations à basse température. Cela s’explique par le fait que le matériau à basse température est légèrement plus rigide (module plus élevé). Les résultats des simulations par EF ne montrent pas de défaillance accrue à basse température aux vitesses étudiées (6 et 10 mi/h). L’analyse par EF préliminaire des défauts intégrés laisse entendre qu’une nette concentration de contraintes est nécessaire en plus des basses températures pour que le comportement fragile se produise.

Des endroits de forte contrainte ont été décelés dans l’analyse par EF (figure 5). Deux (2) endroits coïncident avec des lignes de soudure, la soudure entre le renfort de tête et la coque du wagon étant particulièrement intéressante.

Distribution of Von Mises stresses

Figure 5. Distribution des contraintes de Von Mises (illustrée). La déformation plastique équivalente s’est produite dans la même zone.

Conclusions

Les résultats de l’analyse par EF sont en très bonne corrélation avec les résultats des tests de la FRA, ce qui laisse entendre que le modèle par EF développé dans la présente étude est fonctionnel malgré les simplifications.

L’une de ces simplifications, soit l’hypothèse selon laquelle les longrines centrales tronquées sont également fabriquées en acier TC128B, semble être acceptable pour les objectifs actuels de l’étude. Bien que l’acier ASTM A572 soit plus fragile que l’acier TC128B, des différences plus importantes sont observées dans le matériau de soudure, à titre d’exemple. Les résultats laissent entendre que le fait de se pencher sur d’autres domaines de recherche permettrait de mieux comprendre les défaillances des longrines centrales tronquées, tel qu’il est détaillé dans la section suivante.

La modélisation ne donne aucune indication qu’un seul attelage violent à ces vitesses (6-10 mi/h) occasionnerait des dommages à un wagon-citerne précédemment non endommagé aux températures étudiées (25 °C et -40 °C). Cela laisse entendre que les limites de vitesse d’attelage actuelles devraient être efficaces pour prévenir les dommages causés par un attelage isolé et de routine.

Cependant, des recherches supplémentaires seraient nécessaires pour renforcer la confiance dans ces résultats, en particulier à basse température, et pour étudier les raisons pour lesquelles des dommages se produisent dans les longrines centrales tronquées malgré les limites de vitesse d’attelage prévues dans le RTMD.

Les résultats de l’analyse par EF indiquent qu’une concentration de contrainte claire, comme un défaut intégré est requise en plus des basses températures pour que le comportement fragile se produise.

Les résultats révèlent que les concentrations de contraintes le long des lignes de soudure, notamment à l’interface entre le renfort de tête et la coque du wagon, sont d’un intérêt. Les soudures sont, par conception, plus faibles et peuvent être des zones d’initiation de dommages et de propagation des fissures.

L’analyse préliminaire des défauts intégrés a révélé que les fissures se comportent différemment selon le type de force. Les forces d’attelage sont principalement des forces longitudinales et de compression. Elles ont tendance à fermer les fissures et à ne pas provoquer de propagation. En revanche, les forces verticales provoquent des contraintes de traction et des contraintes de cisaillement, qui sont plus problématiques pour la propagation des fissures. Ces forces peuvent se produire en raison de décalages dans la hauteur des attelages, du ballottement et des longs trains.

Mesures à venir

Des études supplémentaires pourraient être réalisées afin d’étudier les causes et les principaux facteurs d’endommagement des longrines centrales tronquées. Les présentes conclusions sont fondées sur plusieurs simplifications, et pourraient bénéficier de travaux futurs comme :

  • modéliser des vitesses d’impact plus élevées et de températures plus basses pour déterminer à quel moment des impacts uniques pourraient occasionner des dommages;
  • étudier la propagation des fissures et l’apparition de dommages dans le cadre d’une analyse par EF améliorée qui inclut les soudures;
  • étudier les défauts intégrés, aggravées par les effets de basse température, la force d’attelage verticale et les charges cycliques;
  • établir la taille critique des fissures grâce à l’analyse de la tolérance aux dommages et la comparer aux fissures détectées par les méthodes d’inspection courantes.

Titre : Analyse par éléments finis des attelages violents de wagons-citernes (2021)

Auteurs : J. McKinley, J. Xue, B. W. Williams, S. Xu, et M. Gesing (RNCan – CanmetMATÉRIAUX)

Numéro TP : 15512E

Numéro ISBN : 978-0-660-41612-0

Numéro de catalogue : T44-3/27-2022E-PDF

Remerciements

Ce projet a été financé par Transports Canada et réalisé par Ressources naturelles Canada.

Contactez-nous

Pour obtenir une copie du rapport, veuillez communiquer avec :

Division de la recherche scientifique du TMD
TC.TDGScientificResearch-RecherchescientifiqueTMD.TC@tc.gc.ca

Mots clés

TC128B, A572, wagon-citerne, attelage violent, longrine centrale tronquée, modélisation d’impact, propriétés de l’acier, modélisation de matériaux.