par Kathy Lubitz, présidente de l’Ultralight Pilots Association of Canada (UPAC) et codirigeante du groupe de travail sur les ultralégers de la Campagne de sécurité de l’aviation générale (CSAG), tel que paru dans l’édition de mars 2016 de la publication Light Flight de l’UPAC.
Il s’agit du troisième article proposé par le groupe de travail sur les ultralégers. Celui-ci s’est engagé à rédiger un article pour chaque édition de Sécurité aérienne — Nouvelles (SAN) afin de promouvoir les pratiques exemplaires et la culture en matière de sécurité, non seulement dans la communauté des ultralégers, mais aussi dans l’ensemble de la communauté de l’aviation générale et dans une portée encore plus vaste, comme vous le verrez en lisant le présent article. Pour en apprendre plus ou pour faire partie du groupe de travail de la CSAG, communiquez avec nous à l’adresse suivante : TC.GeneralAviation-AviationGenerale.TC@tc.gc.ca.
L’homéostasie du risque est la théorie selon laquelle chaque personne a un niveau acceptable de risque qu’elle juge tolérable. Cette théorie a été proposée en 1982 par M. Gerald Wilde, Ph. D., professeur en psychologie à l’Université Queen’s (Ontario).
Selon la théorie de l’homéostasie du risque, pour toute activité, chacun accepte un niveau particulier de risque évalué de façon subjective pour sa santé et sa sécurité afin de profiter de multiples avantages associés à cette activité. M. Wilde appelle ce niveau de risque accepté un « niveau de risque cible ».
M. Wilde utilise un thermostat pour illustrer le niveau de risque cible. Le thermostat contrôle l’unité de chauffage et de refroidissement qui contrôle la température. Cette unité contrôle à son tour le thermostat. Il y aura des fluctuations de température dans la pièce, mais selon la moyenne dans le temps, la température restera stable, à moins que le thermostat soit réglé à un nouveau niveau de risque (valeur de réglage).
Dans le même ordre d’idées, le niveau de risque cible est perçu comme la variable de contrôle dans la cause du taux d'accidents avec blessures. La stratégie de base pour la prévention des blessures devrait consister à réduire le niveau de risque que chacun est prêt à accepter. Les variations des conditions liées aux compétences ou à l’environnement peuvent seulement produire des fluctuations mineures ou à court terme dans le risque cible et non pas établir le risque cible.
Si chacun perçoit subjectivement le niveau de risque comme étant relativement faible, il pourrait modifier son comportement et augmenter son exposition au risque. Inversement, s’il perçoit un niveau de risque plus élevé, il pourrait faire davantage preuve de prudence.
La théorie de l’homéostasie du risque est contre-intuitive à l’approche traditionnelle en matière de santé et de sécurité selon laquelle lorsque les initiatives ne fonctionnent pas comme prévu, il faut simplement exercer plus de contrôles ou de meilleurs contrôles ou faire preuve d’une plus grande vigilance. L’homéostasie du risque explique pourquoi les personnes ne répondent pas toujours comme on s’y attendait aux initiatives de sécurité traditionnelles. Au lieu de cela, les personnes répondent à ces initiatives en fonction de leur propre niveau de risque cible.
Dans l’industrie du risque et de la sécurité, il est courant d’essayer d’isoler, de cibler et de résoudre un problème ou un risque en particulier avec un programme ou une initiative spécifique. Lorsque le concept de la théorie de l’homéostasie du risque n’est pas pris en compte dans l’élaboration et la mise en oeuvre de tels efforts, ces initiatives pourraient ne pas fonctionner comme prévu ou attendu en raison des perceptions subjectives du risque, des décisions inconscientes, des préjugés et des conséquences indirectes de l’homéostasie du risque.
L’homéostasie du risque laisse entendre qu’il est parfois plus efficace d’avoir moins de contrôles et plus de motivation. Quand la perception subjective du risque est plus importante et que les individus prennent des décisions personnelles pour la réduire à un niveau acceptable (risque cible), ils se comportent et s’adaptent en conséquence.
L’information susmentionnée est principalement tirée de deux articles. Le premier s’intitule « Risk Homeostasis Theory: an Overview » (en anglais seulement) par Gerald Wilde. Le second est « Risk Homeostasis Theory–Why Safety Initiatives Go Wrong » (en anglais seulement) par Dave Collins. Ces deux sources offrent les articles dans leur intégralité, ainsi que des références et des suggestions de lecture.
Les conducteurs se sentent plus en sécurité au volant de voitures équipées de freins ABS et de quatre roues motrices; alors, ils accélèrent. Les fumeurs croient que les cigarettes « légères » sont meilleures pour la santé; donc ils en fument plus. Le port obligatoire d’un casque pour les conducteurs de motocyclettes en Ohio n’a pas réduit le taux de mortalité; cela a suscité un plus grand sentiment de sécurité chez les conducteurs et une augmentation de la vitesse et du nombre de décès. Dans chaque cas, le risque a été réduit dans un domaine et c’est pourquoi son augmentation dans un autre domaine a été acceptée.
L’homéostasie du risque et les vols
Quel est le lien entre l’homéostasie du risque et les vols? Nous acceptons le risque de défier la gravité pour voler. Nous avons chacun nos propres raisons pour voler, tout comme nous avons chacun notre propre niveau de risque acceptable.
Se fier à la technologie du poste de pilotage est un exemple de l’acceptation par les pilotes d’un niveau de risque plus élevé. Avant ces avancées technologiques, le pilote devait planifier son vol minutieusement avec des cartes et des exposés météorologiques. Puisque les pilotes ont maintenant toute cette information à portée de main dans le poste de pilotage, un grand nombre d’entre eux omettent la planification et se fient à l’équipement pour savoir s’ils vont rencontrer un problème. Ils croient que le risque que survienne une panne technologique est faible.
Prenons l’exemple suivant. Un pilote utilise deux aides électroniques pour se rendre à sa destination : un système mondial de localisation (GPS) avec la position de l’aéronef sur une carte aéronautique de navigation VFR (VNC) et le radar météorologique. Le GPS indique au pilote sa position et son altitude. Le radar météorologique indique où sont les averses de pluie et de neige que le pilote doit éviter. En raison du plafond bas, le pilote effectue le court vol à une altitude d’environ 200 pieds (pi) au-dessus du sol (AGL). Le pilote connaît très bien le secteur et les obstacles qu’il faut éviter, et il a aussi une grande expérience de vol et des solutions si les conditions devaient trop se détériorer pour continuer. Le pilote se rend en toute sécurité jusqu’à sa destination; toutefois, il admet qu’il n’aurait probablement pas dû faire ce vol. Tout s’est bien passé, mais avec du recul, ce vol était risqué… Peut-être trop risqué. Prudence toutefois : « s’en tirer » mène aussi à l’acceptation de risques plus importants la prochaine fois.
Un autre exemple : un pilote dans un poste de pilotage tout écran vole dans des conditions météo qui se détériorent parce que l’écran montre que les conditions s’amélioreront quand l’aéronef aura traversé le mauvais temps. Le risque est que les rapports météorologiques dans le poste de pilotage accusent un retard par rapport à la météo réelle de quelques minutes ou jusqu’à 20 minutes ou plus. D’ailleurs, un pilote doit aussi connaître les conditions à la destination à l’heure d’arrivée réelle, une heure plus tard.
Dans ces deux exemples, les pilotes se sont fiés à la technologie pour se rendre en toute sécurité jusqu’à leur destination. Ils ont pris le risque que la technologie puisse subir une défaillance. Les batteries pourraient se décharger et devoir être changées en plein vol afin de redémarrer le programme en espérant qu’il soit intact. Un GPS pourrait perdre son signal et ne plus fournir la position actuelle. Les conditions météo ne sont pas fournies en temps réel et ne reflètent peut-être pas la situation actuelle avec exactitude.
Il peut y avoir des problèmes logiciels. Les propriétaires de certains Dynons plus vieux ont eu ce problème lorsqu’une mise à jour logicielle a entraîné le « gel » des écrans lors d’un vol. Ce problème est maintenant réglé et les nouveaux modèles ne devraient pas avoir ce problème.
Les statistiques sur les accidents démontrent que les conditions de vol aux instruments rencontrées par des pilotes incapables de les gérer causent de nombreux accidents graves. La tolérance au risque de ces pilotes ne correspond pas à leurs capacités. Cinq heures de pratique « sous la visière » pour une licence de pilote privé pourraient leur donner la confiance de poursuivre un vol dans des conditions météorologiques qui se détériorent parce qu’ils ont suivi la formation sur la façon d’échapper aux problèmes advenant des conditions de vol aux instruments.
Voici un autre exemple : un pilote effectue une approche sur une courte piste. Le pilote se demande « Puis-je y arriver? » Oui? Non? Il est indécis. L’indécision est une décision en elle-même; la réponse est non. Lorsque le résultat est en cause et que le risque est à la limite de ce qui est acceptable, la décision doit être que le risque est trop élevé.
Si vous ne retenez rien d’autre de cet article, soyez au moins au courant de l’homéostasie du risque et de votre risque cible personnel. Reconnaissez les moments où vous essayez de justifier une mesure proposée ou lorsque vous adoptez l’attitude potentiellement dangereuse selon laquelle vous êtes « assez prudent ».
Nous devons accepter le fait que l’aviation comporte des risques. Lorsque nous défions la gravité, les choses peuvent mal tourner et nous pouvons nous blesser, ou pire. Les avantages de l’acceptation du risque peuvent être importants, mais soyez réaliste quant à vos capacités. Veillez à votre sécurité pour que chacun de vos vols se termine bien.