Par Martine Bissonnette, M.Sc. chimiste
Lors de l'entrée dans une aire dangereuse, il est d'une importance capitale de pouvoir y déceler les substances chimiques dangereuses, en particulier si l'espace est clos. Les dangers rencontrés dans les espaces clos ont fait l'objet de discussions détaillées dans le Bulletin de nouvelles du TMD, printemps 1996. Cet article décrit les principes de fonctionnement et le mode d'emploi des détecteurs de gaz multiples. Les dangers décelés peuvent être classés en trois catégories : toxiques, asphyxiantes et combustibles.
Il existe sur le marché toute une diversité de détecteurs de gaz multiples, mais leurs capteurs fonctionnent tous sur des principes similaires. La différence entre les divers instruments se situe surtout au niveau des options offertes ainsi que leur aspect extérieur. Grâce à l'électronique, le mode d'emploi des instruments est très simple, mais il faut quand même connaître les perturbations possibles pour pouvoir faire une interprétation juste des résultats.
Cellule électrochimique à détection de l'oxygène
La cellule consiste en un contenant étanche muni d'une membrane de polymère permettant la diffusion sélective de l'oxygène vers son intérieur. Les réactions 1 et 2 (illustrées ci-dessous) s'y produisent, où «M» représente un métal, habituellement le plomb pour l'anode et l'or pour la cathode. Comme la réaction 2 le montre, la consommation de l'anode détermine la durée de vie de la cellule. Ce capteur permet de déceler aussi bien une insuffisance qu'un surplus d'oxygène, la concentration normale dans l'air étant 20,9 %. La quantité de courant produite par la réaction est proportionnelle à la pression partielle d'oxygène dans l'air et elle est linéaire dans la plage 0-25 %. La durée de vie du capteur est environ de 12 à 18 mois, qu'il soit ou non installé dans l'instrument.
(1) Réaction à la cathode
O2 + 2H2O + 4e --> 4OH-
(2) Réaction à l'anode
M + 2OH- --> MO + H2O + 2e
Capteur à substances toxiques
La spécificité des cellules électrochimiques provient du choix de l'électrode détectrice appropriée, du contrôle de la tension de cette électrode et l'emploi de filtres qui éliminent sélectivement les substances chimiques qui ne doivent pas être décelées. Il existe des cellules pour déceler toute une gamme de substances toxiques comme le dioxyde de soufre, le sulfure d'hydrogène, le monoxyde de carbone, le chlore, le dioxyde d'azote et l'ammoniac, et bien d'autres. Le capteur est constitué habituellement de trois électrodes (indicatrice, auxiliaire et référence) séparées par une mince couche d'électrolyte. Le gaz toxique se diffuse dans la cellule et il est oxydé par l'électrode détectrice (exemple présenté ci-dessous pour le monoxyde de carbone), alors que l'oxygène est réduit en eau à l'électrode auxiliaire. Le courant produit est comparé à celui de l'électrode de référence et la différence entre les deux est transposée en une concentration du produit chimique toxique. Les lectures sont habituellement données en ppm et la plage d'utilisation va de 0 jusqu'à 2000 ppm. Il est très important de réaliser qu'il faut, pour que le choix du capteur soit approprié, savoir quelle substance chimique est présente.
(3) Réaction à l'électrode auxiliaire
O2 + 4H+ + 4e --> 2 H2O
(4) Réaction à l'électrode indicatrice
CO + H2O --> CO2 + 2H+ + 2e
Le capteur MOS ou «metal oxide semiconductor» peut servir à déceler aussi bien les substances toxiques que les gaz combustibles. Son fonctionnement fait appel à un semi-conducteur à oxyde métallique chauffé. Les molécules de gaz sont adsorbées sur la surface chauffée où se produit une réaction d'oxydo-réduction qui provoque un changement de la conductivité électrique de l'oxyde métallique. Ce changement, qui est proportionnel à la concentration du gaz d'intérêt, permet de déceler de très faibles concentrations de gaz toxiques. Cependant, le capteur réagit à un grand nombre de substances chimiques, car il n'est pas spécifique. Ce manque de spécificité constitue un avantage quand le capteur est utilisé comme outil de dépistage pour vérifier si des gaz toxiques sont présents dans l'air. Pour obtenir une lecture quantitative avec un capteur MOS, il faut étalonner adéquatement l'instrument et savoir quel composé est présent dans l'air.
Détecteurs de gaz combustibles
Les détecteurs de gaz combustibles permettent habituellement des lectures en pourcentage de la limite inférieure d'explosion (LIE), dans la plage de 0 à 100 % de la LIE. La concentration atmosphérique minimale à laquelle les vapeurs s'enflamment, correspond à 100 % de la LIE. Par exemple, un gaz combustible pour lequel 100 % de la LIE est 4 % (volume) dans l'air, donne une lecture de 50 % de la LIE si le volume de ce gaz, dans l'air, est de 2 %.
Le capteur le plus populaire est le capteur à combustion catalytique, qui consiste en un pont de Wheatstone contenant un filament de platine chauffé. Les modèles les plus récents, dits à bille catalytique, fonctionnent grâce à un filament de platine enroulé et noyé dans une bille de céramique poreuse. Dans les deux types de capteurs, l'oxydation du gaz par le filament entraîne un changement de la résistance électrique proportionnel à la concentration de gaz combustible. Le capteur détecte tout gaz ou toute vapeur brûlant en présence d'oxygène. Toutefois, la réponse est non linéaire en présence de concentrations élevées de gaz combustible ou lorsque l'oxydation est incomplète à cause d'un apport d'oxygène insuffisant. Le capteur peut aussi brûler en présence de fortes concentrations de gaz combustibles et il ne fonctionne pas bien à des concentrations d'oxygène inférieures à 16 %. L'empoisonnement de la surface du catalyseur par des composés comme le silicium, le plomb, le phosphore et les composés halogénés peut réduire l'activité du capteur. La durée de fonctionnement du capteur est de 24 à 36 mois.
La concentration indiquée par l'instrument n'est vraie que si le gaz décelé est le même que celui utilisé pour l'étalonnage. Un instrument étalonné au pentane ne peut donc, pour tout autre gaz combustible, servir qu'à en indiquer la présence ou l'absence. Le réglage de l'alarme à 10 et jusqu'à 20 % de la LIE tient donc habituellement compte de cela.
Le principe des détecteurs de gaz combustibles de type MOS est très similaire à celui des capteurs MOS pour les gaz toxiques. Par contre, le capteur ne brûle pas dans une atmosphère riche en gaz combustible, n'est pas sujet à l'empoisonnement et fonctionne quand même dans une atmosphère réduite en oxygène. Toutefois, comme dans le cas des gaz toxiques, le capteur n'est pas spécifique et donne une lecture pour tout gaz absorbé par l'oxyde métallique. Ce type de capteur n'est pas destiné à l'identification des contaminants inconnus et il ne donne qu'une approximation de la concentration d'une substance chimique dont la présence est connue.
Fonctionnement des instruments
Les instruments qui renferment des cellules électrochimiques ne devraient pas être laissés à l'extérieur à des températures inférieures au point de congélation de l'eau, car si l'électrolyte gèle, cela pourrait endommager la cellule et les commandes électroniques de façon permanente. La plage normale de fonctionnement des détecteurs de gaz multiples va de 0 à +40 °C. Il faut respecter le temps de réponse du capteur, qui est en moyenne inférieur à 20 secondes. Toutefois, si une sonde d'échantillonnage est utilisée, il faut prévoir plus de temps, puisque l'échantillon d'air doit parcourir toute la longueur du tube avant de parvenir au capteur. Une fois l'échantillonnage terminé, il faut laisser le détecteur de gaz multiples fonctionner quelques minutes dans une atmosphère non polluée pour s'assurer que les cellules et le système de pompage sont alors purgés. Il est très important d'étalonner l'instrument au moins aux trois mois et après chaque utilisation pour s'assurer d'un bon fonctionnement des capteurs. Les détecteurs de gaz multiples sont faciles à utiliser et ils ne nécessitent pas une formation très poussée des utilisateurs. L'interprétation des résultats est habituellement directe, sauf lorsque beaucoup de produits chimiques peuvent être présents ou que le capteur MOS universel est utilisé; il faut alors savoir quelle substance a servi à l'étalonnage pour pouvoir interpréter les résultats. L'usage de matériel électronique comme des radios UHF et VHF, en particulier s'ils se trouvent dans le mode de transmission, peut entraîner des perturbations. La sécurité intrinsèque est aussi d'une importance capitale vu les risques que pose l'entrée dans une atmosphère qui peut être explosive.
Particularités des détecteurs de gaz multiples
Les détecteurs de gaz multiples peuvent déceler, en continu et simultanément jusqu'à cinq substances dangereuses. La plupart des modèles sont contrôlés par un micro-ordinateur. Chaque manufacturier offre un certain nombre de particularités comme des registres électroniques de données et une variété de capteurs. Lorsqu'utilisé normalement, le détecteur fonctionne en mode de diffusion, mais lors des vérifications de la qualité de l'air, avant l'entrée dans des espaces éloignés ou exigus, il est préférable d'utiliser une pompe, qui peut être, soit intégrée, soit externe. Le coût des instruments se situe entre 800 $ et 6000 $, le prix dépend du nombre de capteurs, des particularités spéciales et des accessoires. Le coût de remplacement du capteur est environ de 250 $ pour l'oxygène et peut atteindre jusqu'à 400 $ s'il s'agit d'un capteur à gaz toxique spécifique.
En résumé
Les détecteurs de gaz multiples offrent une façon efficace de vérifier la sécurité d'une aire renfermant des marchandises dangereuses. Les instruments requièrent peu de main-d'oeuvre et ils sont très fiables lorsque bien étalonnés. Cependant, l'utilisateur doit être conscient des perturbations possibles lors de l'interprétation des résultats.
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Parution: TMD Marchandise dangereuse Nouvelles, Vol. 16, No. 3, Hiver 1996.
* Martine Bissonnette est une ex-conseillère en intervention d'urgence avec CANUTEC.