Chapitre 1 - Coût des impacts de la faune et responsabilité

Introduction

Les coûts d’exploitation dans l’industrie aéronautique sont extrêmement élevés, la concurrence est acharnée et les marges bénéficiaires limitées dans la plupart des cas. S’il convient d’affecter des ressources à la réduction des dommages aux aéronefs causés par les impacts d’oiseaux et de mammifères, seule une analyse de rentabilisation solide assurera l’affectation de ces fonds. Ce chapitre se veut une première étape de cette démonstration en expliquant les variables qui influent sur les coûts des impacts de la faune.

Étant donné que la responsabilité légale est un aspect crucial des coûts associés aux collisions avec la faune—notamment lorsque l’accident cause la perte totale de l’appareil et fait des victimes—ce chapitre passe également en revue le concept de responsabilité et la façon dont il s’applique au risque que représente la faune.

Une équation de la force d’impact

Le coût d’un impact de la faune est directement lié à la partie de l’aéronef endommagée et à l’importance des dommages, qui est déterminée par la force de l’impact créé par la collision entre l’aéronef et l’animal.

Un calcul précis de la force de l’impact sur l’aéronef tient compte du poids de l’oiseau, de la vitesse de l’impact, des dimensions et de la configuration de l’oiseau, de sa densité et de l’angle d’impact. Exprimée par une équation, la force de l’impact sera proportionnelle à la masse de l’oiseau et au carré de la vitesse d’impact (v. l’annexe 12-1 pour des renseignements supplémentaires sur la force d’impact). En appliquant des chiffres plausibles, un oiseau de 4 lb qui frappe un aéronef naviguant à 250 km produit une force d’impact de 38 000 lb environ. À une vitesse de 400 km, la force augmente à 100 000 lb.

Toutes les parties antérieures de l’aéronef sont exposées au risque d’une collision avec des oiseaux. Le dessous et le train d’atterrissage sont également vulnérables durant le décollage et l’atterrissage, lorsque l’angle d’inclinaison longitudinale de l’aéronef est plus élevé. Dans les cas où l’altitude est mentionnée, près de 75 pour cent des impacts d’oiseaux signalés ont lieu à moins de 500 pieds. Les collisions avec des mammifères, à l’exception de celles qui impliquaient des chauves-souris, sont limitées aux phases de roulement durant le décollage et l’atterrissage. Les données de Transports Canada montrent que dans le cas où la phase du vol est mentionnée, près de 90 pour cent des impacts de la faune surviennent justement au cours du décollage et de l’atterrissage.

Partie touchée Collisions signalées en pourcentage (lorsque le point d’impact est mentionné)
Nez 19
Radome 4
Aile 13
Empennage 2
Moteur 13
Queue 1
Fuselage 11
Feux 1
Train d'atterrissage 9
Tube de Pitot 1
Pare-brise 7
Toutes les autres parties 15
Hélice 4

Tableau 1.1 Partie de l’aéronef frappée lors d’impacts d’oiseaux – Canada et É.-U., (1991-1999). Il faut noter que la proportion des collisions avec la faune qui touchent les moteurs a progressivement augmenté ces dernières années, ce qui s’explique probablement par l’augmentation des surfaces frontales des moteurs à double flux dont sont dotés de plus en plus les avions à réaction commerciaux.

Points d’impact

Les données les plus récentes au Canada et aux États-Unis – présentées au tableau 1.1
- indiquent qu’en moyenne, le nez, les ailes et le moteur sont les points de l’aéronef les plus fréquemment frappés.

Coûts des dommages causés par les impacts de la faune

Plusieurs paramètres doivent être pris en compte lors de l’évaluation de l’ampleur du dommage qui pourrait être causé à un turbomoteur :

  • Taille et poids de l’oiseau
  • Vitesse de l’aéronef
  • Type de réacteur
  • Diamètre de l’entrée d’air
  • Réglage de puissance du moteur
  • Emplacement exact de l’impact sur l’aéronef

Examinons de quelle façon les impacts de la faune affectent les différents composants de l’aéronef :

Turboréacteurs

La plupart des petits oiseaux isolés qui sont frappés par les turboréacteurs sont déchiquetés par les aubes mobiles du premier étage et traversent l’intérieur du réacteur sans causer de dommage important. Un seul impact d’un oiseau de taille moyenne et des collisions avec plusieurs oiseaux de petite taille provoquent fréquemment des dommages au réacteur. Les ailettes de la soufflante peuvent se plier ou se déformer. Plusieurs ailettes peuvent se briser sous l’impact plus grave d’un ou plusieurs oiseaux de grande taille. Les débris ingérés par le réacteur endommageront les étages suivants du moteur en entraînant parfois une panne moteur ou la destruction totale du réacteur. Dans quelques cas, il y a eu panne moteur non confinée. Des pièces du moteur éjectées par le capot moteur peuvent endommager également d’autres composants des systèmes ou de la structure de l’aéronef.

Deux conclusions se dégagent de l’emploi plus fréquent de turboréacteurs à double flux et à taux de dilution élevé :

  • La surface frontale accrue du réacteur augmente la possibilité d’impacts individuels ou multiples avec des volées d’oiseaux.
  • L’air aspiré étant amené jusqu’à 80 % autour du générateur de gaz principal du réacteur, une partie des débris de l’oiseau est souvent rejetée loin du centre du moteur plus vulnérable.

 


Photo courtesy Capt. Peter Miller, Kroger Co.
Dommage non confiné causé au réacteur par l’ingestion de canards à l’aéroport Lunkin, 25 janvier 1999. Jet d’affaires Falcon 10.

Malgré des améliorations de conception, force est de constater que ces nouveaux moteurs sont endommagés presque aussi souvent que les modèles des premières générations.

Les turboréacteurs d’aujourd’hui sont des appareils de précision soigneusement réglés. L’ingestion d’un oiseau, si petit soit-il, exige pour le moins une inspection. Un dommage même mineur de la soufflante du premier étage peut se traduire par des coûts importants (16 000 $ US pour une nouvelle aube dans un réacteur CFM56) de réparation ou de remplacement des ailettes endommagées. Le coût de remplacement d’un réacteur grimpe à plusieurs millions de dollars, auquel cas l’aéronef sera hors service pendant toute une journée au minimum.

Moteurs à pistons, turbopropulseurs et turbomoteurs

Ces moteurs sont généralement moins susceptibles de subir d’importants dommages résultant des impacts d’oiseaux. Les surfaces d’admission sont beaucoup moins grandes que celles des réacteurs à double flux et l’hélice ou les pales du rotor offrent une protection accrue en éloignant les débris d’oiseau des entrées d’air du moteur. Normalement, les impacts de mammifères sur ces types de moteurs ne provoquent aucun dommage direct. Toutefois, les pales endommagées d’une hélice peuvent avoir des conséquences catastrophiques. En déséquilibre de charge, le moteur peut être très endommagé et se détacher de ses points d’attache.

Pare-brise

Un impact à hauteur du pare-brise a des conséquences diverses allant de petites traînées de sang à un pare-brise qui vole en éclats. Dans un certain nombre de cas, lorsque l’oiseau pénètre dans l’avion, les restes et les pièces du pare-brise ont causé des blessures et parfois même la mort de membres de l’équipage.

Dans les aéronefs équipés de moteurs à pistons et les hélicoptères, les pare-brise sont souvent en Plexiglas léger qui n’est pas certifié pour résister à un impact d’oiseau important. Même si ces aéronefs tournent à des vitesses inférieures à celles d’un avion à réaction et la force de l’impact est réduite, on a enregistré de nombreux cas de bris de pare-brise et de pénétration de l’habitacle. Le pare-brise d’un monomoteur sera moins vulnérable à cause de la protection offerte par le moteur et l’hélice. Dans le cas des hélicoptères, la surface très importante du pare-brise entraîne davantage de risques. En outre, les hélicoptères passent une proportion plus grande de leurs heures de vol à de basses altitudes où les volées d’oiseaux sont plus fréquentes.

Le coût du remplacement d’un pare-brise peut être de 2 000 $ pour un aéronef d’aviation générale et de 100 000 $ dans le cas d’un grand avion à réaction. La réparation ou la durée du remplacement peut varier de quelques heures à plusieurs jours, selon le dommage causé à la structure du fuselage adjacente.

 


Un Piper PA-44 après un impact avec un urubu noir à 2 000 pieds AGL et 140 noeuds. Octobre 2000. Daytona Beach (Floride).

Structures de l’aile et de la queue

Une collision à hauteur du bord d’attaque de l’aile ou d’un composant de la queue peut produire une bosse ou un trou du revêtement et même le froissement ou la déchirure du métal. Si l’oiseau est lourd ou dense et la vitesse de l’aéronef suffisamment élevée, l’animal peut pénétrer dans la structure et endommager les longerons et les câbles de commande ou les composants hydrauliques. Sur de nombreux modèles, les ailes incorporent des dispositifs hypersustentateurs, tels que des volets ou des becs de sécurité soit sur le bord d’attaque soit sur le bord de fuite de l’aile. Ces dispositifs aussi peuvent être endommagés sous l’effet d’un impact d’oiseau. Les coûts des réparations peuvent être négligeables dans le cas d’une légère bosse qui doit être débosselée mais incroyablement élevés si le dommage touche des structures ou des systèmes vitaux de l’aéronef.

Train d’atterrissage

À première vue, le train de l’aéronef semble se composer de pièces très résistantes capables d’absorber d’importantes charges en phase d’atterrissage. Toutefois, un examen plus attentif montre que le train d’atterrissage principal utilisé sur les avions d’aujourd’hui comprend de nombreux composants vulnérables tels que conduites hydrauliques, câbles électriques, solénoïdes et micro-interrupteurs. Les impacts d’oiseaux causent rarement des dommages structurels importants au train.

Toutefois, les collisions avec des mammifères, notamment le cerf, peuvent causer des dommages importants. Les coûts de réparation du train vont de quelques centaines de dollars pour le remplacement des conduites hydrauliques et des micro-interrupteurs endommagés à plus de 100 000 $ en cas de dommages structurel des composants du train d’atterrissage principal.

Autres composants

Comme le décrit le tableau 1.1, beaucoup d’autres pièces de l’aéronef subissent des dommages—en entraînant des coûts et une durée de réparation variables—sous l’effet d’impacts d’oiseaux et de mammifères. Parmi d’autres composants, mentionnons les radomes, les phares d’atterrissage et les tubes de Pitot. Les coûts de remplacement de ces pièces peuvent s’élever à plusieurs milliers de dollars et la durée de la réparation varier de plusieurs heures à plusieurs jours.

Dommage à effet retardé

Parmi les effets les plus nuisibles des impacts d’oiseaux, on compte les dommages qui ne sont pas détectés immédiatement. On dénombre des cas documentés dans lesquels les moteurs d’un aéronef frappés par des oiseaux sont tombés en panne au cours de vols ultérieurs, malgré les inspections visuelles qui n’ont signalé aucun dommage. Fréquemment, le dommage n’est pas détecté jusqu’au moment où on procède à une inspection périodique et des essais non destructeurs sont effectués sur des pièces désassemblées de l’aéronef.

Éventail des coûts consécutifs aux impacts de la faune

Le coût total de l’impact de la faune est la somme des coûts directs et indirects, des coûts accessoires et des coûts associés aux pertes de la coque et des vies humaines et à la responsabilité légale.

Coûts directs

Les coûts directs se rapportent à la réparation ou au remplacement des pièces endommagées et comprennent le coût réel des pièces et de la main-d’oeuvre et les frais généraux connexes.

Les données de l’industrie sur ces coûts directs de réparation sont disponibles, mais on a procédé à peu d’analyses pour isoler les coûts de réparation attribuables aux impacts de la faune des autres dommages par corps étranger (FOD). Le fait que les impacts de la faune ne sont pas suffisamment signalés donne à penser que les sommes indiquées dans les données relatives aux coûts de réparation seront faibles. Les données disponibles indiquent que les coûts de réparation attribuables aux impacts de la faune sont élevés. H. Lehmkuhl, de la Division des assurances des lignes aériennes allemandes Lufthansa, a établi qu’entre 1985 et 1994, la compagnie aérienne avait enregistré 2 637 impacts d’oiseaux, dont 807 (31 %) avaient causé des dommages. Durant les cinq dernières années de cette même période, le coût direct moyen des impacts ayant causé des dommages s’élevait à 45 792 marks allemands (DM), soit près de 31 600 $ (CAD). (La Lufthansa est la seule compagnie qui réunit des informations complètes sur les impacts d’oiseaux avec ses aéronefs.) Aux États-Unis, la FAA signale entre 1991 et 1999 un coût direct moyen des impacts ayant causé des dommages d’environ 90 000 $ US, soit près de 135 000 CAD. Ces chiffres n’incluent aucun accident ayant entraîné la perte de la coque.

Coûts indirects

Les impacts de la faune peuvent entraîner également des coûts indirects importants pour les exploitants d’aéronefs. Les coûts indirects sont influencés par l’importance du dommage causé à l’aéronef, par la distance de la station de réparation la plus proche de l’exploitant, la taille de la flotte de la compagnie aérienne et la nature des activités de l’exploitant (transport de passagers, avion-cargo, vols affrétés). Les coûts indirects peuvent inclure une partie ou la totalité des postes de dépenses suivants :

  • Carburant consommé et largué au cours des procédures d’atterrissage d’urgence
  • Transport des pièces de rechange et des mécaniciens sur les lieux
  • Coût d’hébergement et des repas pour les équipes de réparation
  • Hébergement, indemnités et repas pour les passagers bloqués et les équipages
  • Aéronef de remplacement
  • Équipage de remplacement
  • Correspondances manquées et nouvelles réservations des passagers sur des vols de remplacement, souvent par d’autres transporteurs
  • Effets de retards par rapport à des horaires hautement intégrés, spécialement dans le cas des lignes aériennes dont les activités s’articulent autour de plaques tournantes
  • Remplacement de l’avion endommagé sur des vols programmés ultérieurement, jusqu’à ce que les réparations soient effectuées
  • Coûts du temps d’immobilisation de l’aéronef endommagé
  • Pénalités contractuelles pour la livraison retardée du fret
  • Perspectives d’affaires perdues pour les passagers retardés
  • Perte de la confiance et de la faveur des passagers

Les coûts indirects des impacts d’oiseaux et de mammifères ne sont pas bien documentés. Certains des exemples énumérés ci-dessus ne sont pas pris en compte par les compagnies aériennes. H. Lehmkuhl, de la Lufthansa, estime que dans de nombreux cas, voire la plupart, les coûts indirects associés à un impact d’oiseau qui entraîne des dommages sont plus importants que les coûts directs. Toutefois—pour donner un ordre de grandeur de ces coûts—les renseignements dont on dispose montrent qu’à chaque heure de retard s’attache un coût pouvant atteindre 15 000 $ US. Une compagnie aérienne peut avoir à payer plus de 3 000 $ pour un passager qui manque une correspondance transcontinentale. Les données compilées par la FFA (États-Unis) corroborent l’opinion selon laquelle les coûts indirects dépassent les coûts directs lorsque le temps d’immobilisation entre dans le calcul. En fait, on admet communément au sein de l’industrie que les coûts indirects dépassent les coûts directs par un facteur de quatre.

Coûts accessoires

Les coûts accessoires sont ceux qu’assument le propriétaire ou l’exploitant de l’aéroport, les organismes investis d’un pouvoir de réglementation, les autres usagers de l’aéroport et les organismes d’intervention d’urgence face aux conséquences des impacts d’oiseaux ou de mammifères. Les coûts accessoires s’étendent aux postes suivants :

  • Clôtures de piste
  • Services d’urgence de l’aéroport
  • Services d’urgence hors aéroport (ambulances, pompiers, police, salle d’urgence d’hôpital en attente)
  • Nettoyage des pistes et travaux de réparation
  • Retards des départs et arrivées des vols
  • Carburant consommé par les aéronefs pendant les retards
  • Programmes de gestion de la faune sur site
  • Services de recherche et de secours hors aéroport
  • Enquêtes d’accident et vérifications de sécurité
  • Assurance responsabilité
  • Administration des organismes de réglementation associés à la couverture des risques d’impacts d’oiseaux et de la faune

Les coûts accessoires sont rarement pris en compte dans l’analyse des collisions avec la faune, bien que certaines estimations soient accessibles. Selon ces dernières, les coûts associés aux retards d’un vol se situent entre 6 000 $ et 15 000 $ US l’heure. Le coût de l’enquête menée à la suite d’accidents d’une extrême gravité comme ceux du Boeing 747 de la TWA au large de Long Island (état de New York) et du MD-11 de Swissair non loin des côtes de la Nouvelle-Écosse (Canada) peuvent dépasser plusieurs millions de dollars.

Coûts découlant de la perte de coques et de vies humaines

Bien que le sort n’ait pas épargné les avions militaires (v. Chapitre 13), on ne connaît aucun cas récent d’accident d’un jet gros-porteur transportant des passagers civils qui ait été causé par un impact de la faune. De nombreux signes précurseurs, cependant, font craindre l’éventualité d’un accident catastrophique par impact d’oiseaux dans un proche avenir. Les coûts associés à un tel accident seraient astronomiques. Le prix d’un aéronef neuf augmente constamment. En 1996, on dénombrait plus de 1 000 aéronefs en exploitation ou commandés dont le prix unitaire s’élevait à plus de 100 millions $ US. Un Boeing 747-400 neuf coûte plus de 250 millions $ US. Les dommages-intérêts récemment versés aux États-Unis aux passagers avoisinent 2,5 millions de dollars par décès—des sommes qui ne devraient pas diminuer. En appliquant ces chiffres, le coût d’un accident provoqué par un impact d’oiseaux et entraînant la perte d’un B747 de livraison récente ou d’un avion gros-porteur transportant de 300 à 400 passagers pourrait dépasser facilement 1 milliard $ US - ces coûts étant directement associés à un accident de ce type et aux responsabilités légales qui en découlent. Comme il a été déjà noté, les coûts indirects et accessoires peuvent être également importants. Même un accident fatal impliquant un modèle plus ancien de petit porteur tel qu’un B737-200 ou un DC-9 pourrait aisément comporter des coûts proches de 100 millions $ US.

Coût annuel total des impacts d’oiseaux et de mammifères

Actuellement, il n’est pas possible de déterminer précisément le coût annuel que représentent les impacts d’oiseaux et de mammifères pour l’industrie aéronautique dans les grands pays. Les données ne sont pas disponibles ou n’ont pas été réunies. Plusieurs pays ont essayé de déterminer ces coûts, mais chacune de ces tentatives comportait des lacunes en raison d’un manque de données essentielles.

La plupart des renseignements dont on dispose sur les coûts des dommages portent sur les aéronefs des compagnies aériennes et autres avions commerciaux, turboréacteurs et multimoteurs. On dispose de peu d’informations sur les coûts des dommages causés aux hélicoptères et encore moins aux aéronefs de l’aviation générale, qui comprennent près de 339 000 aéronefs privés enregistrés dans le monde. Les estimations disponibles du total des coûts annuels des dommages causés par des impacts de la faune sont en outre considérablement faussés par de graves accidents avec perte de coque, qui viennent gonfler de façon démesurée les statistiques d’une année donnée. Il faut obtenir des données pluriannuelles documentées pour que l’industrie puisse établir une moyenne plausible des coûts à long terme.

Malgré tout, les données disponibles montrent suffisamment que les coûts associés aux impacts de la faune constituent une portion importante des dépenses d’exploitation annuelles des compagnies aériennes. Des rapports ponctuels fournis par les dirigeants d’une jeune compagnie aérienne nord-américaine qui a fait faillite indiquent que les coûts associés aux dommages causés par les impacts d’oiseaux ont été un facteur déterminant dans le dépôt du bilan. Des renseignements récents fournis par des cadres supérieurs de la compagnie aérienne indiquent que 40 % des coûts annuels de la United Airlines dus aux FOD sont attribuables à des impacts d’oiseaux. Robinson (1996) signale qu’une compagnie aérienne du Royaume-Uni estime que les impacts d’oiseaux représentent près de 20 pour cent des coûts de FOD. En supposant le chiffre de 30 pour cent dans toute l’industrie, le coût total varie entre 64 millions et 107 millions $ US, sur la base d’une estimation des coûts de FOD par l’industrie aéronautique de près de 320 millions $ US par an.

Encore une fois, il ne s’agit là que de coûts directs. Les experts de la gestion de la faune de l’industrie aéronautique croient que si l’on inclut tous les autres coûts associés aux dommages causés par les impacts de la faune, le coût annuel pour l’industrie aéronautique nord-américaine peut être évalué de façon réaliste à plus de 500 millions de dollars.

Responsabilité légale

Auparavant, les impacts d’oiseaux étaient souvent considérés comme des cas de force majeure. En conséquence, nul ne pouvait être tenu responsable de ce genre d’accidents.  Grâce au travail accompli par de nombreux spécialistes des sciences naturelles, on commence à démythifier l’idée qu’il est impossible de gérer la faune. Les types de comportement de certaines espèces d’oiseaux et de mammifères à proximité des aéroports sont raisonnablement prévisibles. Ces comportements peuvent être modifiés souvent par des interventions fondées sur les résultats d’études exhaustives. En n’acceptant pas de prendre des mesures pour réduire le nombre d’oiseaux et de mammifères à risque sur les aéroports ou à proximité, les organismes et les directions s’exposent à une responsabilité éventuelle, comme l’atteste le bref aperçu du concept de responsabilité et de la législation canadienne applicable ci-dessous.

Négligence et responsabilité

Le principe fondamental de responsabilité dépend de la preuve établissant la négligence. Les parties sont jugées négligentes lorsqu’elles agissent sans diligence raisonnable ou lorsqu’elles omettent d’agir et que des personnes dont elles auraient dû tenir compte en sont affectées. Si un plaignant fait la preuve qu’un défendeur a été négligent, ce dernier sera tenu responsable des dommages.

La responsabilité peut être soit civile soit pénale. Les sanctions appliquées en cas de responsabilité pénale prévoient des amendes et une peine d’emprisonnement. En cas de responsabilité civile, ces pénalités se limitent à l’obligation de réparer le dommage causé. Toutefois, dans certains pays—notamment aux États-Unis—la responsabilité civile implique également l’imposition de dommages punitifs importants. Comme on l’a vu précédemment, les coûts des dommages consécutifs à une perte de coque majeure imposés à une ou plusieurs parties peuvent dépasser 1 milliard $ US, si la preuve de négligence est établie.

Il importe de comprendre que les notions de négligence et de responsabilité s’appliquent à toutes les personnes et entreprises associées aux opérations aériennes, notamment les exploitants d’aéroport, les fournisseurs des services de la circulation aérienne, les pilotes, les employés d’aéroport et les entrepreneurs de gestion de la faune de l’aéroport. Même les secteurs n’appartenant pas à l’industrie aéronautique peuvent être en cause, par exemple, les entrepreneurs d’élimination de déchets.

Loi canadienne

Au Canada, l’utilisation d’un aéronef en toute sécurité est régie en vertu de la loi par les devoirs et obligations—résumés ci-dessous—imposés aux propriétaires, aux exploitants et aux usagers des aéronefs et des aéroports.

Devoirs et obligations en common law

La common law se fonde sur les précédents et s’articule autour de deux termes clés : devoir de diligence et devoir de mise en garde. Les principes appliqués pour déterminer si les devoirs et obligations qui incombent ont bien été exercés sont ceux du caractère raisonnable et de la diligence raisonnable. Une explication de ces termes exigerait plusieurs pages mais les concepts fondamentaux sont assez simples. Dans les cas découlant de collisions avec la faune, on doit exercer une diligence raisonnable pour que l’aéronef soit exploité en toute sécurité; les personnes responsables doivent se montrer diligentes en étant au fait des circonstances et de la technologie qui permettent d’être prévenus de tout danger.

Dans le cas des exploitants d’aéroport, cela comporte l’obligation de minimiser le risque d’impacts de la faune susceptibles de toucher un aéronef en créant et en appliquant un programme de gestion de la faune qui sensibilise les intervenants aux risques non gérés. De même, les ATS sont également responsables d’avertir les pilotes des risques liés à la faune à l’aéroport et de faire connaître les activités de la faune au personnel de gestion de la faune de l’aéroport. Les pilotes sont tenus de modifier les paramètres de vol afin d’éviter des risques connus et d’informer les exploitants d’aéroport des situations dangereuses. Quiconque est associé aux opérations aériennes doit faire preuve de diligence raisonnable en s’acquittant des tâches qui lui incombent.

Devoirs et obligations convenus et dictés par les contrats

Les contrats imposent des devoirs et des obligations à tous les signataires—devoirs et obligations qui peuvent s’étendre au-delà des parties contractantes. Par exemple, les entrepreneurs qui fournissent des services de gestion de la faune à un exploitant d’aéroport peuvent également avoir une part de responsabilité dans les dommages survenant à un aéronef exploité à l’aéroport. Les exploitants d’aéroport sont responsables de surveiller l’efficacité du programme de gestion de la faune de l’aéroport et doivent s’assurer que les entrepreneurs s’acquittent de leurs obligations.

Il faut également définir avec soin les contrats conclus entre les exploitants d’aéroport et les locataires. En l’absence du contrôle des agissements d’un locataire susceptibles de créer des risques, l’exploitant d’aéroport peut être tenu responsable en cas d’accident.

Devoirs et obligations imposés par les lois sur la responsabilité des occupants

Les aéroports au Canada sont assimilables à toute propriété en ce qu’ils sont régis par des lois édictées par la province ou le territoire compétent. Les dispositions de la Loi sur la responsabilité des occupants de l’Ontario (L.R.O. 1990, c. 02) sont citées ci-dessous et illustrent les principes énoncés dans la loi.

3. (1) Un occupant des lieux a l’obligation de prendre le soin qui s’avère raisonnable dans toutes les circonstances en cause pour veiller à ce que les personnes qui entrent dans les lieux et les biens qu’elles y apportent soient raisonnablement en sûreté lorsqu’ils s’y trouvent.
 
(2) L’obligation de prendre soin au paragraphe (1) s’applique, que le risque soit causé par l’état des lieux ou par une activité qui y est exercée.

Notons également qu’un des articles de cette loi stipule que « lorsqu’un occupant a des obligations imposées par les lois en vigueur, elles peuvent ne pas être sujettes à restriction. »

Cela signifie qu’un contrat ne peut inclure un déni de responsabilité dans des termes qui évitent les obligations imposées par la loi.

Dans l’application de cette loi, les termes propriétaire de l’aéroport, exploitant et usager sont désignés dans la loi d’occupant, de visiteur légitime et de titulaire. Dans les termes les plus simples, un exploitant d’aéroport est un occupant et la compagnie aérienne un visiteur légitime. Le fait que l’exploitant d’aéroport perçoive des droits d’une compagnie aérienne—et qu’il ait invité la compagnie aérienne à utiliser le site—lui confère une responsabilité importante en vue de la gestion d’un terrain offrant des garanties de sécurité.

Études de cas en matière de responsabilité légale

Ces exemples de cas faisant jurisprudence peuvent contribuer à illustrer les concepts de responsabilité civile et pénale tels qu’ils s’appliquent aux impacts de la faune :

Falcon 20—Norwich (Angleterre), 1973

Le 12 décembre 1973, un avion d’affaires à réaction Falcon 20 avec neuf personnes à bord entre en collision avec des mouettes et des goélands à tête noire immédiatement après le décollage de l’aéroport de Norwich. L’impact cause de graves dommages aux deux réacteurs. L’écrasement, qui détruit l’aéronef, fait un blessé léger. Le juge chargé de l’affaire a écrit que les défendeurs (l’exploitant d’aéroport) avaient à l’égard des plaignants (l’exploitant d’aéronef et les occupants) un devoir général de prudence— c’est-à-dire l’obligation de prendre un soin dans l’exercice de leurs activités à l’aéroport jugé raisonnable dans les circonstances. Après avoir étudié les nombreux éléments de preuve, le juge a établi que les défendeurs avaient manqué à leur devoir et qu’ils devaient payer des dommages-intérêts aux plaignants. Autrement dit, l’exploitant d’aéroport n’a pas fait preuve d’une diligence raisonnable dans la gestion des risques d’impacts d’oiseaux sur les lieux.

Sabreliner—Watertown (É.-U.), 1975

Le 14 juin 1975, un bimoteur NA265 Sabreliner ingère des mouettes dans les deux moteurs en rotation en provenance de l’aéroport de Watertown. L’aéronef s’écrase. Les deux ailes sont arrachées et un grave incendie s’ensuit. Trois des six personnes à bord sont blessées et l’aéronef est une perte totale. La Safeco Insurance Company a intenté une action contre l’exploitant de l’aéroport, en l’occurrence la Ville de Watertown. Le tribunal a soutenu que la cause immédiate de l’accident était le fait que le pilote n’avait pas été mis en garde contre la présence des oiseaux. L’exploitant d’aéroport a dû payer la valeur totale de l’aéronef détruit.

Concorde—New York (É.-U.), 1995

Un Concorde d’Air France entre en collision avec des bernaches du Canada dans sa manoeuvre d’atterrissage à l’Aéroport international John F. Kennedy le 3 juin 1995. Deux des quatre réacteurs de l’avion supersonique prennent feu et sont détruits. Air France a poursuivi en justice l’exploitant de l’aéroport (Port Authority of NY & NJ) pour la valeur des deux réacteurs, soit 6 millions $. Après avoir payé des frais légaux considérables, les parties se sont entendues à la veille du procès sur un montant de 5,3 millions $ US. Une information anecdotique indique qu’en dépit d’un programme de gestion de la faune bien administré, l’aéroport avait négligé de prévenir l’équipage de la présence connue des bernaches du Canada.

Falcon 20 – Paris (France), 1995

À l’automne 1998, les autorités françaises ont porté une accusation d’homicide involontaire contre l’Administration des aéroports de Paris et trois anciens dirigeants pour leur rôle dans l’accident survenu à l’aéroport du Bourget. Les accusations étaient consécutives à l’écrasement d’un jet d’affaires Falcon 20 de Dassault qui avait frappé des vanneaux au décollage de l’aéroport, le 20 janvier 1995. Le pilote avait perdu le contrôle de l’aéronef après que les oiseaux ingérés eurent détruit le réacteur de gauche. L’avion s’était écrasé en tuant les 10 personnes à bord. Une enquête a déterminé que le personnel avait négligé de procéder aux opérations courantes d’effarouchement d’oiseaux avant l’accident. L’autorité aéroportuaire a été accusée de « négligence et défaut de se conformer aux procédures normales de sécurité ». La conclusion de l’affaire n’est pas encore connue à ce jour.

Sommaire

Nous avons tenté dans ce chapitre de faire valoir les arguments à l’appui d’une affectation des ressources susceptible de réduire le risque des impacts de la faune. Pour l’industrie aéronautique, deux messages ressortent :

  • Les dommages découlant des collisions avec la faune coûtent des millions de dollars chaque année.
  • Les tribunaux de plusieurs administrations ont indiqué que le défaut d’exercer une diligence raisonnable dans la gestion des risques de la faune se traduira par des verdicts de responsabilité au civil ou au pénal. (Il faut souligner que dans plusieurs autres affaires, un arrangement protégé par des clauses de non-divulgation est intervenu. À notre connaissance, aucune entente n’a été conclue et aucun verdict n’a été prononcé en faveur du défendeur.)