Chapitre 15 — Conclusion

Introduction

Tout au long de cet ouvrage, nous avons répété que l’approche fondée sur la sécurité du système était un élément fondamental de tous les programmes de gestion de la sécurité. Cette approche s’appuie sur un travail d’équipe et peu d’industries exigent— et encouragent—le travail d’équipe aussi fortement que l’aviation. La nature même de cette industrie, où les décisions sont lourdes de conséquence, exige une culture dans laquelle les décisions et les actions font en sorte que la sécurité est la première priorité. Et nulle part en aviation cette exigence n’est aussi importante que dans la gestion des dangers associés à la faune.

La gestion du danger associé à la faune

Les programmes de gestion de la faune varient en qualité et en complexité selon les pays. Les programmes mis en place dans les pays en développement et les petits aéroports sont inexistants ou inefficaces. Dans les aéroports privés où la responsabilité des personnes morales importe—et dans les aéroports possédés et exploités par les gouvernements dont le régime réglementaire est éclairé—les programmes de gestion de la faune sont souvent progressistes et scientifiques.

L’influence et le contrôle que les organismes de réglementation nationaux exercent sur les programmes de gestion de la faune varient selon les pays. Certains organismes ont des régimes très structurés alors que d’autres se soumettent à la volonté des intervenants. Les règlements normatifs comme ceux que l’on trouve dans les divers programmes réglementaires nationaux—et les pratiques recommandées de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI)—sont d’une efficacité limitée en raison des difficultés de surveillance et d’application. Cette situation s’explique à la fois par la nature très mobile et adaptative de la faune et par l’évolution constante du contexte dans lequel les programmes de gestion de la faune sont appliqués. Les changements dans le climat, le paysage humain et la réglementation environnementale—ainsi que des attentes sociétales capricieuses—font partie des nombreux facteurs qui font de la gestion de la faune une tâche extrêmement dynamique et complexe. La nature du problème de la faune exige non seulement une approche fondée sur la sécurité du système, mais également un cadre réglementaire qui vise, avant tout, le rendement.

 

Communication

La vulnérabilité des jets de transport commerciaux aux impacts d’oiseaux est devenue évidente au début des années 1960, peu après que leur utilisation a commencé à progresser. À mesure que leur taille et leur complexité augmentaient, la taille et la structure du secteur aéronautique prenaient également une nouvelle ampleur. La bonne gestion des risques associés à la faune dépendait d’une coopération et d’une communication efficaces entre tous les intervenants. Si la responsabilité est à l’origine de la gestion du risque associé à la faune, la communication est le moyen de l’améliorer.

National et international

Au Canada, la création, au début des années 60, du Comité associé contre le péril aviaire a marqué la première rencontre officielle d’experts dans le domaine de la gestion de la faune et de l’aviation. La première réunion du Comité européen pour la prévention du risque aviaire a eu lieu à Francfort, en Allemagne, en 1966. Depuis lors, de nombreux autres comités nationaux de lutte contre le péril aviaire ont été créés et la participation aux deux plus importants—Bird Strike Committee USA/Canada et le International Bird Strike Committee—augmente chaque année.

On ne peut assez souligner tout ce que ces comités apportent à l’approche fondée sur la sécurité du système. Ils représentent une tribune essentielle pour l’échange d’information entre les praticiens de la gestion de la faune et d’autres intervenants importants. Chaque réunion donne la possibilité de comparer les techniques et l’équipement utilisés dans le monde. Les exposants commerciaux ont l’occasion de montrer leurs produits et d’en faire la démonstration. Des études scientifiques sont présentées et font l’objet de débats, ce qui permet d’améliorer la compréhension du problème et les niveaux de risque. Surtout peut-être, les réunions des comités sont des lieux de motivation et d’échange de nouvelles idées et permettent aux participants de repartir avec des outils susceptibles d’améliorer l’efficacité des programmes qu’ils gèrent.

 

Et maintenant?

À l’aéroport

Les experts de la gestion de la faune prétendent qu’une bonne partie des risques de collision entre un aéronef et la faune peut être éliminée, mais seulement si les exploitants d’aéroports et les autres organismes responsables suivent les directives figurant dans les manuels et des ouvrages comme Un ciel à partager.

Ce programme combine 80 pour cent de gestion de l’habitat et 20 pour cent de contrôle actif et de nature scientifique tout en modifiant les calendriers et les techniques de ces mesures pour éviter l’accoutumance. Les autres éléments essentiels sont les suivants :

  • Un système de rapport fiable,
  • Une collecte et une analyse officielles des données,
  • Une recherche permanente sur l’amélioration des techniques et de l’équipementutilisés pour la gestion de la faune,
  • Un réseau de communication fiable.

Voilà les outils d’un personnel de la gestion de la faune dévoué et motivé, sans lequel une bonne gestion de la faune serait impossible.

Certains événements récents soulignent le besoin fondamental d’une utilisation méthodique de ces outils. Les données montrent clairement la présence d’un problème croissant d’impacts d’oiseaux graves à des altitudes qui dépassent la sphère d’influence des exploitants d’aéroports. En attendant, les populations de nombreuses espèces d’oiseaux dangereux augmentent rapidement pour diverses raisons, notamment une mauvaise utilisation des terres près des aéroports.

Recherche et développement

Pour faire avancer la cause de la gestion de la faune, il faut appuyer la recherche en cours—et l’encourager—grâce à un financement suffisant. Cette recherche permettra au secteur aéronautique de mieux comprendre certaines questions, notamment :

  • les techniques et l’équipement de gestion de la faune;
  • le comportement des animaux par rapport aux aéroports et aéronefs, en particulierla recherche visant à déterminer si l’on peut conditionner la faune pour qu’elle évitecertaines zones comme les pistes et les aires de roulage;
  • la gestion de la végétation et sa contribution à la réduction du péril faunique;
  • les systèmes embarqués—comme les projecteurs d’atterrissage stroboscopiques, les feuxstroboscopiques, les jeux de couleurs, les générateurs d’infrasons et de micro-ondes—susceptibles de mieux avertir la faune de la présence d’un aéronef;
  • l’amélioration des techniques de gestion des sols comme les sites d’enfouissement;
  • les protocoles de rapport des incidents et accidents dus à la faune;
  • les technologies qui peuvent détecter et disperser la faune sans exiger un personnelimportant;
  • les technologies qui peuvent détecter les oiseaux et avertir les fournisseurs de servicesde la circulation aérienne et les pilotes d’un danger imminent ou immédiat d’oiseaux.

Éducation et sensibilisation

Grâce à des programmes d’éducation et de sensibilisation, les intervenants sont amenés à s’intéresser aux problèmes de la faune. Plusieurs pays ont amélioré la qualité des programmes de gestion de la faune en lançant simplement des campagnes de relations publiques dynamiques. Il est possible de quantifier les résultats de ces initiatives par l’amélioration des rapports d’impacts d’oiseaux et une meilleure coopération entre les intervenants de l’industrie.

Réglementation

L’industrie aéronautique est certainement une des plus réglementées du monde développé. Pourtant, les nombreuses réunions des comités de lutte contre le péril aviaire et plusieurs initiatives en cours n’ont pas réussi à établir plus que quelques programmes de lutte contre le péril faunique pleinement réglementés de par le monde. Transports Canada a consacré des années à élaborer des règlements et des normes sur la gestion de la faune aux aéroports; le ministère prévoit l’adoption des règlements dans un proche avenir.

Règlements normatifs et règlements fondés sur les résultats

Un des problèmes des règlements normatifs est qu’ils sont susceptibles d’établir une norme fixe—un plafonnement qui décourage l’exploitant d’aéroport de continuer à améliorer les programmes. Les règlements normatifs devraient également être appliqués. Il faudrait recruter des agents d’application de la loi qui recevraient un entraînement poussé dans les sciences naturelles; non seulement le coût de ces initiatives serait prohibitif, mais les normes nécessaires à cette application imposeraient un nouveau fardeau bureaucratique. Néanmoins, les règlements et les normes axés sur les résultats devraient donner aux organismes de réglementation la capacité de surveiller les résultats au moyen d’une analyse des données, réduisant ainsi la nécessité d’un personnel d’application de la loi spécialisé.

Les problèmes que posent les règlements normatifs deviennent évidents dans les règles que certains pays développés sont en train d’adopter. Par exemple, les règlements normatifs interdisent normalement l’exploitation de sites d’élimination des déchets à l’intérieur d’un ensemble de points de référence des aéroports. Pourtant, en raison de diverses préoccupations conflictuelles, comme les coûts de zonage, les limites de compétences et la présence de sites existants, de nombreux sites d’enfouissement continuent d’être exploités dans des zones de séparation régularisées. De plus, même s’ils ne sont pas situés dans les zones de séparation, ces sites sont souvent mal gérés et attirent un grand nombre d’oiseaux qui occupent normalement les trajectoires de vol des aéronefs. Grâce aux nouvelles technologies utilisées sur les sites d’enfouissement, les oiseaux peuvent pratiquement disparaître de ces endroits. Du point de vue de la gestion du risque, il serait préférable pour l’industrie aéronautique que les règlements axés sur les résultats exigent que tous les exploitants des sites d’enfouissement gèrent les sites proches des aéroports de cette façon.

Organisation de l’aviation civile internationale (OACI)

L’OACI est en train de mettre à jour ses pratiques recommandées en matière de gestion de la faune contenues dans l’Annexe 14, Chapitre 3 du Manuel sur les services d’aéroport. Les normes de l’OACI devraient assurer un cadre rigoureux pour l’élaboration de règlements et de normes par ses États membres.

Collecte des données

La plupart des experts de la gestion de la faune conviennent que les programmes actuels de gestion des risques associés à la faune ne disposent pas de données fiables. Malgré la difficulté d’appliquer un système obligatoire de rapport des collisions avec la faune, les avantages de disposer de données complètes et utiles le justifieraient.

Les règles de certification actuelles des moteurs à réaction s’appuient sur des données qui étaient beaucoup moins fiables et informatives qu’aujourd’hui. Ce n’est que récemment que les décideurs ont eu accès à des données complètes et exactes qui montrent :

  • toute la portée des incidents destructeurs que représentent les impacts de grossesvolées d’oiseaux sur les turboréacteurs à double flux,
  • l’importance de la croissance de la population et de la taille de certaines espècesd’oiseaux aquatiques.

 

L’étape suivante : les nouvelles technologies

Les experts se félicitent du potentiel des nouvelles technologies qui peuvent avertir à l’avance des activités des oiseaux, permettant ainsi aux fournisseurs de services de la circulation aérienne et aux pilotes de prendre des décisions sur la gestion des vols susceptibles de réduire les risques associés aux impacts.

De nombreux systèmes militaires conçus au départ pour détecter, suivre et intercepter les missiles et autre matériel militaire sont bien adaptés pour assumer les mêmes fonctions de surveillance de l’activité aviaire. Le fait de combiner ces technologies avec le radar météorologique de la prochaine génération (NEXRAD)—qui vérifie les précipitations et indique les oiseaux en vol—donnera des avertissements en temps réel et à l’avance de l’activité aviaire.

Les nouvelles technologies de détection aux aéroports donneront des avertissements en temps réel de l’activité faunique aux aéroports et à proximité. Les dispositifs thermographiques, les radars bidimensionnels et les radars à balayage électronique volumétriques—tous dérivés d’applications militaires—offrent un ciblage efficace de l’activité faunique. Au cours des dix dernières années, les forces aériennes américaines ont mis au point et affiné le radar bidimensionnel pour la détection des oiseaux dans les secteurs de bombardement, mais de nombreux experts estiment que la vitesse et la résolution des radars à balayage électronique volumétriques sont supérieurs.

Des consultants des É.-U. sont en train de mettre au point un radar à balayage électronique volumétrique pour des applications civiles. Ces systèmes localiseront avec exactitude les oiseaux sur les terrains aéroportuaires et dans l’espace aérien voisin jusqu’à environ 3000 pieds AGL. Les créateurs s’attendent à ce que le logiciel puisse différencier entre les cibles d’oiseaux à faible et haut risque.

Il existe actuellement une controverse au sujet de l’utilisation de l’information fournie par ces technologies de détection en temps réel. À tout le moins, un système de réseaux qui combine la capacité prédictive du AHAS/BAM (voir Chapitre 14) avec la capacité d’avertissement en temps réel du radar à balayage électronique volumétrique pourrait donner aux exploitants d’aéroports un outil de gestion de la faune très utile. En sachant où se trouve la faune jour et nuit, les équipes de gestion de la faune devraient pouvoir affecter les ressources—tactiques et stratégiques—plus efficacement.

Des données exactes et fiables sur le nombre des oiseaux, leurs mouvements et la menace qu’ils représentent s’avéreront certainement très utiles pour les équipages de conduite civils et le personnel des services de la circulation aérienne. Les forces aériennes d’Israël et des États-Unis ont réussi à réduire considérablement le nombre des impacts d’oiseaux destructeurs grâce au AHAS/BAM.

Compte tenu des récents progrès dans les technologies et les pratiques, certains avancent que l’industrie a peut-être atteint la limite de ses possibilités de lutte contre les collisions avec la faune :

  • Les fournisseurs de services de la circulation aérienne ne peuvent plus accepter detravail supplémentaire.
  • Les pilotes ne peuvent plus accepter de nouvelles tâches dans le poste de pilotage—en particulier pendant les décollages et atterrissages.
  • Les constructeurs de cellules et les compagnies aériennes hésiteraient à réduire lacapacité de production de revenus des aéronefs en augmentant leur poids parl’installation de systèmes embarqués supplémentaires.

Mais les pilotes conviennent en général que l’information en temps réel sur l’activité aviaire serait très utile. Même si les règles de vol aux instruments limitent leur capacité de manoeuvrer les aéronefs, les équipages de conduite préféreraient connaître les dangers. L’information sur le péril aviaire pourrait être mise à leur disposition au moyen d’une liaison montante des données et gérée de la même manière que l’information météorologique, sur les microrafales et les évitements de collisions. Dans les postes de pilotage avec instrumentation, l’information sur le péril aviaire serait surveillée sur les écrans et fournie aux équipages de conduite uniquement lorsque les algorithmes terrestres auraient déterminé l’imminence d’une menace grave.

Une fois informés de l’activité des oiseaux, les équipages de conduite auraient un certain nombre d’options :

  • Demander que les fournisseurs d’ATS autorisent un léger changement de cap,d’altitude ou de vitesse.
  • Décider de modifier les profils de départ et de descente et voler à des vitesses plusbasses.
  • Retarder le décollage ou effectuer une procédure de remise des gaz.

Les équipages de conduite pourraient, tout au moins, être persuadés de s’intéresser davantage à ce qui se passe de l’autre côté du pare-brise.

L’industrie aéronautique fonde beaucoup d’espoir sur ces technologies de détection en temps réel. Il est peu probable que la nature se charge du problème et limite l’augmentation de la population de certaines espèces d’oiseaux aquatiques. La chasse sportive est en déclin et les groupes de défenses des animaux n’accepteront pas les initiatives de régulation des populations. Les systèmes de détection des oiseaux et d’avertissement, même s’ils doivent encore être améliorés—et faire leurs preuves— avant que l’industrie envisage sérieusement leur mise en oeuvre, sont prometteurs de progrès considérables dans la gestion des risques d’impacts de la faune.

 

Résumé

Comme nous l’avons dit au début de notre ouvrage, Un ciel à partager ne se veut pas un guide opérationnel pour la gestion de la faune aux aéroports—un certain nombre d’excellents manuels remplissent ce rôle, notamment le Manuel de procédures sur la gestion de la faune de Transports Canada, et la série de Prevention and Control of Wildlife Damage publiée conjointement par l’Université du Nebraska, le Great Plains Agricultural Council et le département de l’Agriculture des États-Unis. Ces manuels sont les meilleurs outils tactiques dont disposent les équipes de gestion de la faune. Nous espérons que Un ciel à partager offrira l’orientation stratégique nécessaire pour réduire le péril faunique.

La cote de sécurité de l’industrie aéronautique est très respectée par tous ceux qui ont participé à la production de cet ouvrage. Pourtant, nous croyons que la croissance rapide aussi bien des populations d’espèces d’oiseaux dangereux que de l’industrie aéronautique conduit à un point où les risques d’accidents catastrophiques et mortels avec perte de coques de jets de transport atteignent un niveau inacceptable. Nous espérons sincèrement que Un ciel à partager contribuera à une plus grande sensibilisation, à promouvoir la coopération et—finalement—à réduire les risques de collisions entre les aéronefs et la faune.