Les câbles, ces ennemis invisibles

par Flight Safety Australia (en anglaise seulement)

Les pilotes auraient tort de considérer les câbles comme de simples objets immobiles, petits et négligeables. En effet, cette description purement physique ne témoigne pas de la véritable ampleur du problème.

Il serait plus utile de considérer les câbles de communication et de transport d’électricité comme des extraterrestres ou des prédateurs sortis tout droit d’un film de science-fiction; ils sont invisibles, omniprésents, se cachent à la cime des arbres et bondissent à travers les vallées, toujours prêts à se battre contre les alliages métalliques, le plastique et la chair.

Les collisions avec les câbles constituent le principal danger des vols à basse altitude et une cause constante de blessures, de décès et de destruction. Le nombre d’accidents dus à des collisions avec des câbles fluctue d’une année à l’autre. L’année 2016 a été particulièrement éprouvante, quelque 14 accidents (dont six impliquant des hélicoptères) sont survenus au cours de cette année, entraînant un mort et 11 blessés. À l’heure où nous écrivons le présent article, cinq accidents ont eu lieu en 2017, avec un décès (le pilote d’un hélicoptère R22), mais aucun blessé. Toutefois, le problème ne sera jamais résolu tant que les réseaux d’électricité et de communication utiliseront des câbles montés sur des poteaux.

Pour la plupart des pilotes privés, la meilleure stratégie pour éviter les collisions avec des câbles tient en trois mots : tenez-vous loin. Toutefois, cette règle ne s’applique pas à ceux qui gagnent leur vie en effectuant des opérations à basse altitude, près des câbles. Ils doivent apprendre à voir et à éviter les câbles; ce qui semble simple, mais qui est difficile à faire puisque les câbles d’aluminium se fondent avec le bleu du ciel, les câbles de cuivre oxydés peuvent être difficiles à distinguer de la canopée d’une forêt et les câbles d’acier rouillés se fondent dans le brun de la terre.

Les câbles n’ont aucun respect pour l’expérience des pilotes. Près de 52 % des collisions avec des câbles peuvent être attribués à des pilotes ayant plus de 5 000 heures de vol, affirme Robert Feerst, fondateur de la société-conseil en collision avec des câbles Utilities Aviation Services. « Il ne s’agit pas d’une erreur de débutant. »

Selon M. Feerst, dans 40 % des cas de collision, les pilotes et les équipages savaient que des câbles se trouvaient à proximité et environ 60 % des collisions avec des câbles entraînent un décès.

Dale South, agent principal des normes de vol des giravions de la Civil Aviation Safety Authority (CASA), explique que la plupart des collisions surviennent lors du passage de finition, lorsque le pilote d’un aéronef agricole survole des zones de formes irrégulières. Cette étape fait partie de toutes les opérations du genre.

« Les pilotes savent qu’il y a un câble. Il a fait partie de leurs vérifications à chaque passage de pulvérisation, puis ils effectuent un passage de finition, et bang. La mémoire humaine est faillible. »

Selon M. South, les collisions avec des câbles se produisent soit lors du passage de finition, soit lors des manœuvres préparatoires de celle-ci. « Par définition, c’est le dernier passage de la journée. Les gens veulent rentrer chez eux, mais c’est justement le moment où le risque est le plus élevé. »

Comment les câbles disparaissent-ils?

« Les câbles sont effectivement invisibles », affirme Robert Feerst. Dans son cours Flying in the wire environment (piloter à basse altitude, là où se trouvent les câbles), organisé en Australie chaque hiver austral, M. Feerst déclare : « Pour un équipage de conduite qui vole à basse altitude, les câbles doivent être considérés comme un danger invisible ».

Plusieurs facteurs rendent les câbles invisibles la plupart du temps, même pour un équipage formé et observateur. En voici des exemples :

  • les conditions atmosphériques
  • l’ergonomie du poste de pilotage
  • la saleté ou les rayures sur les vitres du poste de pilotage
  • l’angle visuel
  • la position du soleil
  • les illusions visuelles
  • les capacités de balayage et l’acuité visuelle du pilote
  • la charge de travail dans le poste de pilotage
  • l’effet de camouflage de la végétation environnante

Les câbles plus anciens peuvent être difficiles à voir, car leur couleur change souvent avec l’âge. Les câbles de cuivre s’oxydent et prennent une couleur verdâtre qui leur permet d’être bien dissimulés dans la végétation. Certains pylônes de transport d’électricité, y compris ceux qui se trouvent dans la vallée de la rivière Hunter en Nouvelle-Galles-du-Sud, sont carrément peints en vert pour s’harmoniser avec l’environnement. C’est apaisant pour les résidents, mais pas pour les pilotes.

Un câble parfaitement visible dans une direction peut être complètement invisible dans l’autre. L’emplacement exact de certains câbles peut changer au cours de la journée en raison des fluctuations de la température ambiante, ce qui peut entraîner l’affaissement ou le resserrement des câbles. Même par une journée sans nuages, le bleu du ciel peut changer et révéler ou cacher des câbles. De longs tronçons de câbles peuvent se balancer à cause du vent, et se déplacer sur des dizaines de mètres dans le cas de câbles qui traversent des vallées.

Puis il y a aussi les illusions d’optique, y compris :

  • L’illusion causée par le câble le plus élevé. Lorsque vous regardez deux câbles parallèles à une distance de 200 mètres ou plus, le câble le plus élevé semble plus éloigné alors que cela pourrait ne pas être le cas.
  • L’illusion du câble fantôme. Un câble parallèle à d’autres câbles peut être dissimulé par ceux-ci.

Parlez maintenant… l’art de la gestion des ressources de l’équipage (CRM) à basse altitude

Le cours de M. Feerst, axé sur les hélicoptères, souligne l’importance vitale de développer une version de la CRM particulière aux opérations à basse altitude. « La CRM à basse altitude consiste essentiellement à reconnaître les dangers et à les signaler immédiatement, sans tenir compte de l’inhibition ou de l’impolitesse perçue », explique-t-il.

« Atténuer ses propos peut s’avérer désastreux. L’important, c’est de se concentrer sur les faits, et non pas de tenter de déterminer qui a raison ou non. », dit-il. Il précise que ce concept de la CRM s’applique à tous les membres de l’équipage de l’aéronef, en plus de l’équipage de conduite.

« La CRM effectuée à basse altitude est très différente de celle effectuée à bord de vols d’entreprises de transport aérien », explique M. Feerst. « En fait, c’est tout le contraire de l’enseignement donné par les entreprises de transport aérien. Lorsque les pilotes des entreprises de transport aérien sont confrontés à une panne moteur, ils s’assurent dans un premier temps de garder la maîtrise de l’appareil, puis ils prennent le temps d’analyser la situation. Nous ne pouvons jamais faire ça, nous n’en avons pas le temps », explique-t-il.

Il donne l’exemple d’un accident survenu à bord d’un hélicoptère d’inspection de lignes de transport d’électricité dans le sud-ouest des États-Unis : « Le monteur de ligne savait qu’il y avait un câble de mise à la terre; il a demandé au pilote : “ Le voyez-vous? ” Le pilote lui a répondu : “ Non, je ne le vois pas; où diable peut-il se trouver? Il doit être ici, quelque part? ” Vous savez quoi? Ils ont fini par trouver le câble. Le pilote est mort. »

« Si ces personnes avaient été entraînées à s’éloigner dès qu’elles n’arrivent pas à repérer un câble dont elles connaissent l’existence, elles auraient pu effectuer une reconnaissance à plus haute altitude et ainsi voir le câble avant de le heurter. »

Vous devez immédiatement reconnaître un code rouge et y réagir. Ne perdez pas de temps à essayer d’être aimable. Un pilote expérimenté réagira.

« Ce que vous dites est essentiel et le moment où vous le dites est essentiel. Dès que vous pensez voir un problème, dites-le! N’en rajoutez pas – vous n’avez pas le temps. Dites-le comme vous le percevez. »

Les erreurs fatales

« Lorsque vous effectuez des opérations à basse altitude, là où se trouvent des câbles, il y a certains principes que vous devez maîtriser, à défaut de quoi, vous vous en remettez au hasard », dit M. Feerst. « Peu importe que vous ayez 100 heures ou 10 000 heures de vol. »

Il énumère trois hypothèses fatales à éviter :

  1. Ne supposez jamais que vous verrez le câble à temps. Vous ne pouvez jamais compter là-dessus. C’est une idée qu’il faut vous sortir de la tête.
  2. Ne supposez jamais que le pilote et vous voyez la même chose. Ne supposez jamais que le pilote a vu le câble.
  3. Ne supposez jamais que l’espace aérien est protégé par des balises et des feux. Vous ne pouvez jamais compter là-dessus.

En 2011, Flight Safety Australia a écrit « Pour éviter les collisions avec les câbles, il ne suffit pas d’établir une liste de vérification ou de lire un article dans un magazine ». C’est encore vrai; les exemples et les conseils donnés dans le présent article illustrent la nature du problème, et ne représentent qu’une petite partie des habiletés nécessaires pour piloter en toute sécurité à basse altitude, là où se trouvent des câbles. Si vous n’avez pas à piloter dans cet environnement, tenez-vous-en loin. Si vous devez le faire, demandez de la formation et une formation d’appoint récurrente. Les câbles sont un ennemi à prendre au sérieux.