Comme un bateau sans ancre

par Dave Olesen, un pilote de brousse ayant cumulé 14 000 heures de vol. Sa base d’attache est sur la rivière Hoarfrost, Territoires du Nord-Ouest. Il est le propriétaire et l’exploitant d’un service aérien commercial conformément aux sous-parties 702 et 703.

« Si on voulait concevoir un bateau vraiment minable, il finirait par ressembler beaucoup à un hydravion! »

Photo taken from the deck of the left float. Bush Hawk holding fast at anchor.

Photo prise depuis le pont du flotteur gauche. Le Bush Hawk tient bon à l'ancre.

Voilà ce que je déclare à mes passagers et clients lorsque je fais mon exposé avant vol sur les mesures de sécurité à bord d’un hydravion. Au début d’un vol en hydravion, il est bon de rappeler les contraintes que présentent nos bien-aimés hydravions à coque. Au nombre de ces contraintes figurent l’extrême sensibilité aux vents et aux courants, le défi d’entrer dans des eaux peu profondes et de ramener les gens sur la rive, la difficulté de prévoir récupérer des gens et du matériel à un endroit précis sans savoir quelles seront les conditions de vents et de vagues à ce moment-là, etc.

Une grande partie de mon travail dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut consiste en des contrats de plusieurs jours avec des spécialistes de diverses disciplines, comme des hydrologues, des géologues, des sismologues, des biologistes, etc. Je commence souvent un contrat en rappelant à ces personnes qu’il n’y a généralement qu’une seule direction dans laquelle on peut se déplacer à bord d’un hydravion à moteur à pistons, et c’est vers l’avant. Dès que son hélice commence à tourner et qu’il est libéré de ses attaches, l’hydravion à coque devient une bête étrange et déterminée, obsédée par une seule direction : devant!

De nombreux pilotes d’hydravion sont également des passionnés de voiliers, de bateaux de plaisance à moteur et d’embarcations à pagaies. Ils aiment l’eau, l’interaction du vent et de l’eau, les mouvements des vagues et des courants et tous les autres agréments de la physique auxquels la navigation de plaisance et le pilotage d’hydravions nous permettent de goûter. Compte tenu de cette passion, je suis surpris par le regard vide que me lancent presque toujours les autres pilotes d’hydravion lorsque j’aborde le sujet des ancres ou que je parle d’une manœuvre rendue possible grâce à l’utilisation astucieuse d’une ancre (ou deux) au cours d’une journée de travail.

An anchor and rope with a foam-lined blue cloth bag, to be carried in the pilot side float compartment

Ancre et corde dans un sac en tissu bleu doublé de mousse à transporter dans le compartiment du flotteur côté pilote

« Quoi, une ancre? Vous transportez une ancre? »

« Bien sûr, et souvent deux. De même qu’une grande quantité de corde. »

Le besoin d’avoir de la corde à bord, ils le comprennent. Il en va de même pour les pagaies. En ces temps de grande lucidité, le port d’un gilet de sauvetage tout au long du vol est obligatoire. Nous suivons une formation sur l’évacuation subaquatique, et la plupart d’entre nous ne quitteraient pas le quai sans un peu d’insectifuge, du matériel de survie de base, une hache, des allume-feux et des allumettes à l’épreuve de l’eau, une petite trousse d’outils, une bâche, etc.

Mais une ancre? « N’est-ce pas très lourd à transporter? » me demandent mes collègues pilotes, s’imaginant peut-être l’ancre CQR de 35 lb suspendue aux yachts stationnés à la marina de la région. Une ancre a un certain poids, c’est vrai. Il en va de même pour les cordes, les trousses d’outils, la boîte à lunch et la trousse de survie. L’ancre Danforth de 8 lb que j’utilise à bord de notre hydravion Found Bush Hawk (masse brute de 3 800 lb quand il est monté sur des flotteurs) me permet d’accomplir tellement de choses en une journée de travail que je n’envisagerais jamais de partir sans elle.

À quoi sert une ancre pour un pilote d’hydravion? En résumé, une ancre donne au pilote d’un engin dont le seul but est d’avancer la possibilité de s’arrêter et de s’immobiliser sur l’eau. À bord d’un hydravion, cette possibilité change complètement la donne.

Comme le présent article paraît dans Sécurité aérienne – Nouvelles, nous pouvons nous concentrer sur les aspects relatifs à la sécurité du transport d’une ancre et la manière de l’utiliser. Une dizaine de scénarios surgissent immédiatement à l’esprit. Par exemple, le cauchemar que représente un moteur qui cesse brusquement de fonctionner alors que l’hydravion glisse à la surface de l’eau en direction ou en provenance de la rive, sur un lac de grande taille situé en région éloignée, et que souffle un vent de terre vif poussant l’hydravion sur des kilomètres d’eau libre. Et dans ces eaux, tandis que l’hydravion soudainement silencieux est rapidement poussé, les vagues deviennent de plus en plus hautes et l’eau devient de plus en plus profonde et froide. La situation tourne alors au cauchemar, comme je l’ai dit. À moins que vous puissiez vous en extirper, jetez l’ancre pendant que le fond est encore accessible, et immobilisez l’appareil!

Un jour, je suis venu en aide à un collègue pilote qui venait d’effectuer un atterrissage sans accroc avec un moteur coupé à bord d’un hydravion monomoteur Turbine Otter sur un lac de la toundra au nord de ma base d’attache. C’était une magnifique journée d’été après une tempête. Au début, je n’étais pas certain de comprendre ce qui se passait. J’ai glissé à la surface de l’eau jusqu’à ce que je me trouve à portée de voix de l’Otter. Le pilote et son assistant se tenaient debout sur les flotteurs. L’hydravion avait dérivé en vent arrière sous une brise régulière de 8 kt, et il était en train de se fracasser dans une anse de blocs rocheux irréguliers. Sans ancre, à quel endroit l’hydravion sans moteur allait-il terminer sa course? (Ceci n’est pas une question piège.)

J’ai coupé le moteur de mon hydravion et je suis descendu sur mon flotteur. J’ai sorti le sac qui contenait l’ancre ainsi que la glène de corde du compartiment du flotteur, puis j’ai jeté l’ancre et j’ai fixé la ligne au ballast du flotteur. Nous avons communiqué en criant, et la première chose qu’il a dite fut ceci : « Bonne idée, cette ancre! »

Je pense qu’il n’est pas nécessaire que je poursuive le récit de mes histoires. Sinon je pourrais continuer comme ça toute la journée.

Autre point à retenir concernant le transport d’une ancre : il faut s’assurer que le sac utilisé est rembourré. Les sacs que j’utilise pour transporter mon ancre sont de simples sacs résistants cousus à la maison, doublés de mousse à alvéoles. L’ancre se glisse rapidement à l’intérieur et à l’extérieur du sac. Le sac est rembourré pour éviter que les bords tranchants endommagent l’intérieur du compartiment du flotteur. De plus, le sac empêche de salir l’intérieur du compartiment ou de l’hydravion avec la boue qui se trouve sur les dents de l’ancre.

Je dois aussi vous dire ceci : au cours des 30 dernières années, j’ai passé de nombreux après-midis agréables à dériver doucement tout en étant ancré, à faire la sieste ou à lire sur la surface lisse d’un flotteur, un peu au large et loin des hordes d’insectes, en attendant pendant des heures que les spécialistes reviennent en sueur après avoir traversé la toundra, transportant leurs marteaux et leurs sacs de roches ou leurs échantillons de plantes. À leur approche, je relâche la ligne d’amarre, je laisse l’hydravion dériver vers la rive et nous chargeons l’appareil. Ensuite, je tire l’ancre hors de l’eau, la soulève et la range, après quoi nous partons.

Je vous conseille donc de transporter une ancre à bord de votre hydravion. Vous aimerez découvrir les possibilités qu’elle offre, et elle pourrait bien vous épargner de graves ennuis.