Chris Horsten, directeur, Canadian Light Sport Aircraft Association (en anglais seulement)
Les pilotes sont souvent reconnus pour leur ego, mais sur une note plus positive, on pourrait dire que la fierté qu’un pilote voue à ses réalisations et l’attention qu’il porte aux détails déterminent son niveau de maîtrise. Qui ne voudrait pas être considéré comme habile par ses pairs? Le côté obscur de tout cela est l’arrogance et la complaisance; ce sont les pires ennemis de chaque pilote.
Quelle est la différence?
Habileté et compétence sont deux mots qui se rapportent à l’application des habiletés acquises pour effectuer une certaine tâche. Il y a toutefois une différence marquée entre les deux. Ainsi, si la compétence renvoie aux habiletés essentielles requises, la maîtrise, le mot le dit, implique une certaine maîtrise de celles-ci. Les programmes et les normes de formation utilisent régulièrement le terme « maîtrise », et il est certainement possible d’atteindre un certain niveau de maîtrise dans l’environnement de formation à court terme. Cependant, il serait également juste de dire qu’une large part de l’habileté acquise sera perdue dans les semaines suivant la réussite d’un test en vol. Des études ont révélé qu’il se produit une perte importante sur le plan des habiletés et des connaissances acquises immédiatement après une période d’entraînement intense, une perte qui n’est comblée qu’au terme d’une période nettement plus longue. Les activités de renforcement en aval doivent se poursuivre et prévoir des correctifs pour maintenir la justesse, le cas échéant.
Comment déterminer si on est compétent ou habile?
Réussir un vol de vérification des compétences rehausse grandement la confiance, mais il serait naïf de supposer qu’on a déjà atteint une pleine maîtrise de quoi que ce soit, dans pareil cas. L’habileté se développe sur une longue période, voire toute la vie durant. À ce stade-ci, on n’a tout simplement pas eu assez de temps pour accumuler suffisamment d’expérience pour être outillé pour pouvoir faire face à tous les scénarios possibles. La répétition renforce la mémoire musculaire et affine les sens. Alors, à quel moment peut-on proclamer en toute honnêteté son habileté?
Dans l’univers des avions légers, un pilote peut se dire habile s’il est en mesure d’exécuter à la perfection certaines manœuvres à chaque fois. En d’autres termes, cela signifie que la réaction est immédiate et correcte compte tenu des renseignements disponibles et que l’exécution est réussie. On peut faire preuve d’une grande habileté dans le cas où l’introduction d’une complication ne nuit pas au résultat final. Mais l’habileté ne se résume pas seulement à la gestion des urgences. Des erreurs mineures commises pendant un vol de routine peuvent se solder par une catastrophe. Mais qu’en est-il du jugement? Nombre de pilotes novices capables de réussir une approche forcée n’ont pas encore acquis la sagesse (encore moins l’habilité) nécessaire pour faire preuve de prudence.
Prenons comme exemple ce pilote relativement novice que nous appellerons John. John possède un avion amphibie haut de gamme nouvellement construit et faisant partie de la catégorie de construction amateur. L’avion comprend toutes les options, y compris un système d’instruments de vol électroniques (EFIS), un pilote automatique, deux radios, etc. L’ambitieux plan de John est de pouvoir utiliser l’avion pour se rendre à son chalet et en revenir par mauvais temps. Il envisage d’obtenir une qualification IFR, mais pour le moment, il compte se rabattre sur le pilote automatique et le système d’accroissement de la vision de l’EFIS. Étant donné que John n’a pas construit l’avion ni participé à l’installation de l’avionique de celui-ci, il l’a peu utilisé. La scène est donc mise pour une catastrophe. Lors du premier week-end de John à son chalet, le temps se gâte à proximité de l’aéroport de destination. Comme le soleil brille toujours au chalet, John pense que le temps se sera dégagé au moment de son arrivée. C’est le contraire qui se produit et, au fil du vol, la brume se transforme en nuages et il est incapable de descendre sous ceux-ci. Il commence à examiner l’EFIS pour obtenir de l’aide, mais il semble y avoir quelque chose qui cloche et il est convaincu que l’avion descend malgré ce que les instruments lui indiquent. Il ne sait pas comment faire fonctionner le pilote automatique si ce n’est qu’en faisant voler l’avion horizontalement en ligne droite, alors il l’allume et l’éteint, fait des corrections de cap, puis le réengage. La peur commence à prendre le dessus et il ne sait pas quoi faire. Comme il s’est entraîné à un aéroport sans tour de contrôle, il est trop effrayé pour essayer de demander de l’aide. Tandis qu’il s’approche de sa destination, soudainement, par miracle, il voit le sol. Il parvient à faire un circuit à environ 500 pieds sous l’altitude de circuit et fait atterrir l’avion avec succès. John a appris une dure leçon et s’est fait une bonne frousse. Malheureusement, cette expérience l’a tellement effrayé qu’il n’a pas utilisé son avion depuis. Il s’agit d’un exemple d’un cas extrême, mais cette situation s’est réellement produite. Ce n’est que lorsque son jugement et sa technique atteignent un certain niveau de maturité qu’on peut vraiment se considérer comme habile. L’école de l’adversité est un outil d’apprentissage efficace, mais pas toujours viable.
La meilleure réponse réside donc dans vos habitudes de vol. À quoi ressemble votre mission type et est-elle la même ou presque chaque fois que vous volez? À quand remonte la dernière fois où vous avez pratiqué une approche forcée? Utilisez-vous régulièrement les services d’un instructeur pour affiner vos habiletés et déterminer les mauvaises habitudes que vous avez pu prendre? N’avez-vous plus besoin de consulter votre liste de vérification? Certains pilotes ont la même routine chaque fois qu’ils prennent l’avion : un vol de 30 minutes jusqu’au café d’un aéroport voisin, puis retour à la maison. Si vous n’avez jamais accumulé d’autres expériences, pouvez-vous vraiment être considéré comme un pilote habile?
Comment y parvenir?
L’habileté consiste avant tout à adopter la bonne attitude. Les bons pilotes ne cessent d’apprendre et saisissent toutes les occasions de renforcer leurs habiletés. Cela peut signifier consacrer une heure ou deux à l’instruction chaque année. Certains pilotes optent pour un entraînement de rétablissement à partir d’assiettes anormales, ou pour les acrobaties aériennes. L’obtention d’un permis pour avions ultralégers ne nécessite pas de grandes habiletés en matière de navigation, mais acquérir de telles habiletés peut vous permettre de mieux comprendre la gestion du carburant, d’améliorer vos capacités de lecture de cartes ou d’interpréter les bulletins météorologiques. Pour un pilote qui vole sur un avion à plus d’un siège, le poids et le centrage deviennent un véritable casse-tête lorsqu’on croit connaître les limites de son avion et que les chiffres ne semblent jamais changer. Mais est-il possible d’effectuer les calculs de masse et de centrage correctement sans avoir à apprendre la procédure? Sauriez-vous reconnaître un problème potentiel d’altitude-densité avant de rouler sur la piste?
Mon instructeur m’a appris à envisager le pire des cas et à m’y préparer à tout moment. Cela ne se limite pas à repérer le prochain champ agricole approprié. On raconte beaucoup d’histoires de pilotes qui ont été pris par surprise, mais mon instructeur m’a appris à ne jamais me retrouver dans cette situation, et qu’en fait, cela pourrait même être considéré comme un manquement à son devoir de me former correctement. Comme je n’ai aucune idée du scénario qui pourrait se présenter, c’est à moi d’être capable de réagir à tout ce qui pourrait arriver sans paniquer et d’avoir un plan pour gérer la situation. Un bon point de départ consiste à simuler toute situation pour laquelle une liste de vérification d’urgence figure dans votre manuel d’utilisation d’aéronef. Connaître ces listes de vérification par cœur peut faire la différence.
Lors de mon premier vol de vérification sur avion à roulette de queue, j’ai passé environ 7 heures avec l’instructeur. J’ai été jugé compétent, même si je savais au fond de moi que je n’avais pas la confiance nécessaire pour gérer quoi que ce soit d’autre qu’un vent de travers de 2 à 3 nœuds. Ce n’est que lorsque je suis parvenu à effectuer un atterrissage sans pousser un soupir de soulagement au toucher des roues que j’ai su que j’avais atteint un niveau de maîtrise que l’on pourrait qualifier d’« habileté ». Ce moment s’est présenté lors d’un vol en direction d’Oshkosh, en 2019. À contrecœur, j’avais dû passer trois jours à Port Huron, à seulement une heure et demie de chez moi, avant que le temps ne me permette de reprendre mon vol. La dernière étape de ce voyage a culminé avec un atterrissage au coucher du soleil à Oshkosh tandis qu’un vent de 7 nœuds soufflait sur la piste, juste à temps pour éviter la ruée provoquée par l’AirVenture. Mais ce n’est pas l’atterrissage en douceur que je suis parvenu à effectuer devant des centaines de spectateurs qui m’a donné l’impression d’avoir enfin réussi, c’est l’absence de terreur dans le visage de mon passager.