Le pouvoir de la parole

par Elizabeth Lakoff Paquette, gestionnaire et partenaire d’affaires en matière de sécurité, NAV CANADA; Rachelle Léger, gestionnaire, Mise en œuvre de produits et de programmes de sécurité, NAV CANADA; et Nicolas Jean, gestionnaire, Exploitation du centre de contrôle régional, NAV CANADA

Le 16 juillet 2019, à 14:26:02Z, le transporteur 3396 a contacté le contrôleur des départs en région terminale (DRT) de NAV CANADA et a reçu l’instruction de monter au niveau de vol 210 et de virer à droite pour voler direct vers un point de repère sur la trajectoire. Un peu plus de trois minutes plus tard, le transporteur 3296, qui avait décollé du même aéroport, a contacté le même contrôleur et a reçu l’instruction de monter à 9 000 pi d’altitude (parce qu’il était en conflit avec un autre aéronef, à l’arrivée, qui descendait à 10 000 pi) et de virer à droite pour voler direct vers le même point de repère sur la trajectoire.

À 14:31:21Z, alors que le transporteur 3396 atteignait la limite verticale de l’espace aérien du contrôleur des DRT, ce dernier a demandé au transporteur 3396 de contacter le contrôleur de l’espace aérien adjacent. Cependant, le transporteur 3296 a accusé réception du changement de fréquence. Il s’agit du premier cas de confusion d’indicatifs d’appel dans cette histoire.

Le transporteur n’est pas nommé dans l’histoire, mais il s’agit d’un exemple réel d’un événement de sécurité qui s’est produit en raison d’une confusion des indicatifs d’appel.

L’indicatif d’appel d’un aéronef est un numéro d’identification unique composé de caractères alphanumériques et utilisé pour reconnaître un aéronef lors des communications air-sol. Les indicatifs d’appel se présentent sous différentes formes : certains correspondent au numéro d’immatriculation civile de l’aéronef (comme C-GAPG, qui se lit « Charlie Golf Alpha Papa Golf »), d’autres sont des indicatifs d’appel téléphonique à trois lettres (comme ACA, pour Air Canada) ou à deux lettres (AB pour Air Bravo), et d’autres encore sont des noms militaires (comme Voodoo ou Batman).

L’attribution d’indicatifs d’appel aux aéronefs, qui semble logique pour la gestion, le suivi et l’établissement des horaires de plusieurs aéronefs d’une flotte, peut avoir des conséquences inattendues au sol ou dans les airs, car des indicatifs d’appel similaires peuvent entraîner une confusion.

En 2018, la confusion des indicatifs d’appel a été officiellement ciblée comme étant l’un des principaux risques de sécurité opérationnelle de NAV CANADA, et elle l’est encore aujourd’hui. Ce risque, qui n’est pas limité au Canada, est un facteur contribuant à certains événements liés à la sécurité.

Qu’est-ce que la confusion des indicatifs d’appel? Il y a confusion des indicatifs d’appel lorsque deux aéronefs ou plus, ayant des indicatifs d’appel similaires, opérant sur la même fréquence ou étant sous la responsabilité du même contrôleur ou spécialiste, se retrouvent dans l’une des situations suivantes :

  • un pilote reçoit une autorisation destinée à un autre aéronef et effectue la manœuvre sans que les services de la circulation aérienne (ATS) s’en aperçoivent;
  • un contrôleur de la circulation aérienne donne une autorisation ou des instructions au mauvais aéronef, croyant qu’il s’agit du bon, et aucun des deux pilotes ne relève l’erreur.

Dans les deux cas, la similitude des indicatifs d’appel crée une situation dangereuse qui pourrait mettre en péril la sécurité des aéronefs.

Lorsque le transporteur 3396 a demandé au contrôleur des DRT de confirmer que le changement de fréquence était pour lui, le contrôleur a dit au transporteur 3296 de rester avec lui, l’a remercié et lui a donné l’instruction de maintenir 9 000 pi parce qu’il y avait un aéronef en conflit. Le transporteur 3396 a questionné à juste titre le contrôleur des DRT, mais ce dernier ne s’est pas rendu compte que c’était le transporteur 3396 qui l’avait appelé, et non le transporteur 3296. Malheureusement, le transporteur 3396 n’a pas corrigé le contrôleur.

Les causes courantes de confusion d’indicatifs d’appel peuvent prendre différentes formes :

  • l’exploitant ou les écoles de pilotage ont attribué des indicatifs d’appel consécutifs (C-GMFC et C-FMFC);
  • l’exploitant a planifié des vols dont les indicatifs d’appel sont similaires, et les aéronefs se trouvent dans l’espace aérien au même moment (ABC123 et XYZ123);
  • les indicatifs d’appel contiennent par coïncidence les mêmes caractères alphanumériques dans un ordre différent (même compagnie − ABC123 et ABC132 – ou deux compagnies différentes − AB1234 et BA2314);
  • les indicatifs d’appel contiennent des chiffres répétés (ABC555).
Figure 1: Example of de-identified flight strips, where three aircraft with similar  sounding idents were in the same controller's airspace.

Figure 1 : Exemple de fiches de vol anonymisées, où trois aéronefs avec des identifications sonores similaires se trouvaient dans l’espace aérien du même contrôleur

Au cours de la dernière année, NAV CANADA a relevé 34 cas de confusion d’indicatifs d’appel de spécialiste ou contrôleur, de pilote ou des deux. Dans chaque cas, des indicatifs d’appel similaires ont été le principal facteur contributif.

Les autres facteurs contributifs étaient les suivants :

  • le fait que l’exploitant n’ait pas détecté le risque lié aux indicatifs d’appel similaires (processus de numérotation);
  • les attentes et les anticipations (biais de confirmation);
  • une conscience sous-optimale de la situation;
  • des techniques de transmission radio médiocres;
  • un écart par rapport à la phraséologie appropriée;
  • les retards sur les horaires.

À 14:31:40Z, le transporteur 3296 a établi un premier contact avec le contrôleur de l’espace aérien adjacent, qui parlait déjà à quelqu’un d’autre sur une autre fréquence. Quelques secondes plus tard, le contrôleur de l’espace aérien adjacent donne l’instruction au transporteur 3396 de voler direct vers à un autre point de repère et de monter au niveau de vol 250. Le transporteur 3296 a relu les instructions et, une fois de plus, il a accepté les instructions qui étaient destinées au transporteur 3396. Même si le point de repère ne figurait pas sur son plan de vol, le transporteur 3296 ne s’est pas rendu compte que les instructions ne lui étaient pas destinées. Le contrôleur, ne voyant que le transporteur 3396 dans son espace aérien et s’attendant à ce que le transporteur 3396 réponde, n’a pas non plus relevé l’erreur.

Presque au même moment, le contrôleur des DRT a donné l’instruction de rester avec lui et de maintenir 9 000 pi au transporteur 3296, mais le transporteur 3296 n’a pas répondu, ce qui a laissé le contrôleur des DRT perplexe. Il a alors demandé si le transporteur 3396 était toujours sur sa fréquence. Le transporteur 3396 a répondu qu’il pensait que le transporteur 3296 avait accidentellement pris l’instruction de changement de fréquence qui lui avait été donnée. C’est à ce moment-là que le contrôleur des DRT s’est rendu compte de ce qui s’était passé. Il a immédiatement appelé le transporteur 3296 qui, une fois de plus, n’a pas répondu.

La confusion d’indicatifs d’appel a des répercussions sur la qualité du pilotage ainsi que sur la charge cognitive des pilotes et des professionnels des services de la circulation aérienne. De plus, dans un environnement où la charge de travail des pilotes, des contrôleurs et des spécialistes est importante, et où il y a des interruptions et des distractions, il peut être facile pour n’importe qui de ne pas relever une erreur.

À 14:32:12Z, le contrôleur des DRT a appelé le contrôleur de l’espace aérien adjacent sur la ligne directe, car les données de surveillance indiquaient que le transporteur 3296 avait amorcé une montée depuis 9 000 pi d’altitude; l’aéronef allait quitter une altitude sécuritaire et risquait d’entrer en conflit avec l’aéronef à l’arrivée. Le contrôleur de l’espace aérien adjacent a répondu à l’appel sur la ligne directe. Le contrôleur des DRT lui a immédiatement donné l’instruction de transférer le transporteur 3296 sur sa fréquence et de lui faire arrêter sa montée et de descendre immédiatement à 9 000 pi. Ensuite, le contrôleur des DRT a aussitôt donné l’instruction au contrôleur des arrivées de rediriger l’aéronef en conflit près de la trajectoire du transporteur 3296.

Le plus préoccupant, c’est que le nombre de cas d’indicatifs d’appel à consonance similaire augmente de façon alarmante; de plus en plus d’événements liés aux indicatifs d’appel similaires sont signalés et enregistrés par NAV CANADA. Cette augmentation s’accompagne d’un risque accru de confusion d’indicatifs d’appel, tant pour le personnel des ATS que pour les pilotes.

À 14:32:27Z, le contrôleur de l’espace aérien adjacent a demandé au contrôleur des DRT de préciser à quel aéronef il fait référence. Le contrôleur des DRT a indiqué que le transporteur 3296 était sur sa fréquence, en montée et en conflit avec un aéronef à l’arrivée. Le contrôleur de l’espace aérien adjacent a affirmé qu’il ne parlait pas au transporteur 3296. En fait, il ne savait pas qu’il s’adressait au transporteur 3296 plutôt qu’au transporteur 3396, car il croyait que son écran affichait le transporteur 3396 dans son espace aérien, et non le transporteur 3296.

À 14:33:04Z, les données de surveillance indiquaient que l’espacement latéral entre le transporteur 3296 et l’aéronef à l’arrivée était maintenant de 3,1 milles, et qu’il continuait de diminuer. L’espacement vertical entre les deux aéronefs était de 800 pi, et il continuait lui aussi de diminuer. Normalement, on exige un espacement latéral de 5 milles et un espacement vertical de 1 000 pi dans l’espace aérien.

En tant que fournisseur de services de navigation aérienne au Canada, NAV CANADA a mis en œuvre plusieurs mesures de contrôle des risques, notamment des procédures pour les cas où un spécialiste ou un contrôleur décèle des indicatifs d’appel à consonance similaire ainsi que de nouvelles procédures de signalement pour les événements aéronautiques liés à une confusion d’indicatifs d’appel. NAV CANADA collabore également avec les transporteurs pour les aider à repérer les cas de confusion d’indicatifs d’appel à consonance similaire, et elle a produit des rapports pour deux des principaux transporteurs canadiens. Ces rapports contiennent un aperçu du risque à l’échelle nationale et comprennent le nombre de rapports d’événements aéronautiques liés à une confusion d’indicatifs d’appel.

NAV CANADA demeure inébranlable dans ses efforts pour réduire la confusion d’indicatifs d’appel dans les opérations commerciales. Les transporteurs, les exploitants et les écoles de pilotage peuvent tous aider en sensibilisant davantage les personnes qui planifient, programment ou attribuent les indicatifs d’appel afin de réduire le nombre de cas de confusion et d'éliminer les indicatifs d'appel à consonance similaire.

Nous pensons que, grâce à la collaboration et à la mobilisation de tous les intervenants pour réduire le nombre de cas de confusion d'indicatifs d'appel à consonance similaire, nous pourrons réduire les cas potentiels de confusion d’indicatifs d’appel.