par David Donaldson, Great Lakes Gliding Club (en anglais seulement)
En 2016, j’ai eu le privilège d’interviewer Chris Hadfield pour un article en deux parties publiées dans vol libre (2016/2 et 2016/3). Parmi les leçons que j’ai retirées de cette expérience, c’était le besoin de revisiter et réapprendre mes leçons. Curieusement, une fonction importante de notre cerveau est d’oublier. Il se peut que vous le constatiez souvent au moment d’entendre le rapport d’un apprenant après un vol ou à la lecture d’un rapport d’accident, il y a des détails non pertinents qui noient le poisson, ce qui empêche les données pertinentes de ressortir. Oublier nous permet de nous défaire de l’information non pertinente, erronée, ou désormais inutile, ce qui fait place aux corrections et à l’information pertinente très importante.
Cette fonction très importante a un inconvénient, celui de nous faire oublier les détails importants et pertinents. Alors comment notre cerveau choisit-il les éléments à garder ou ceux à supprimer? Cela relève de deux principaux critères : la pertinence et la fréquence. Analysons-les séparément.
La pertinence – Imaginez-vous à un cours officiel de formation pour maîtriser un nouveau logiciel. Le formateur est passionné par le logiciel et en sait manifestement long sur la matière; cependant, il aime bien vous montrer toutes sortes de fonctions ingénieuses que vous n’utiliserez pas. La réaction naturelle est de décrocher pendant la formation, et, par conséquent, d’oublier les éléments non pertinents.
Le programme de formation que j’offre est une préparation intensive de cinq jours pour un examen technique, et les documents connexes sont un remède contre l’insomnie. Mon arme secrète pour maintenir la participation de la classe, et favoriser l’apprentissage, se résume à glisser ces quelques mots : « pour l’examen ». En tant qu’apprenants, nous nous demandons continuellement et inconsciemment : « Est-ce pertinent pour moi? » Si je veux, en tant que formateur, que les leçons soient acceptées et assimilées, j’ai besoin de m’assurer qu’elles sont pertinentes pour l’apprenant, et non pour le formateur.
Dans le cas d’un vol d’introduction ou avec passagers, nous voulons montrer à l’apprenant tous les détails, tous les instruments, comment les commandes fonctionnent et comment effectuer un virage coordonné. Toute cette information est importante et pertinente pour le pilote, mais pas pour le passager du dimanche après-midi qui veut voir les couleurs automnales à 2 000 pi d’altitude et immortaliser l’instant avec son appareil photo. Il suffit de poser une question simple avant de débuter, « Que souhaitez-vous faire? », pour rapidement évaluer le type et l’étendue de l’exposé requis.
La fréquence – Le concept de mise à jour des connaissances est désormais appliqué dans le monde de la sécurité aérienne. Dans le monde des planeurs, nous préconisons depuis de nombreuses années les vérifications du printemps. Les avantages sont de se rappeler d’appliquer les leçons tirées sur la manière de voler. Pendant la pause hivernale, étant donné que nous ne pratiquons pas ces compétences, notre cerveau oublie naturellement : « Je n’utilise pas ces compétences? Je vais les faire descendre à un niveau inférieur de conscience, voire même les oublier ». Une des erreurs communes associées aux vérifications du printemps est de croire que c’est notre fonction cognitive qui se dégrade, pas nos aptitudes physiques. En somme, après notre longue hibernation, nous remontons dans le poste de pilotage, faisons fonctionner les commandes, effectuons des virages coordonnés en douceur et atterrissons en toute sécurité. Nous sommes fin prêts.
En revanche, nos aptitudes cognitives, notre perception et notre prise de décision sont les compétences qui se dégradent réellement. Une mise à jour printanière efficace devrait inclure non seulement les aptitudes physiques (« Pouvez-vous faire fonctionner les commandes? »), mais également les aptitudes mentales (« Comment allez-vous gérer cette situation? »). Une étude en 2010, intitulée « Enhancing Aeronautical Decision Making through Case-Based Reflection », a démontré comment améliorer la formation sur la prise de décision en se penchant sur des études de cas.
En effet, c’est ce que nous faisons lorsque nous partageons nos histoires autour d’un verre après une bonne journée de vol. Qui savait que la discussion présentait un tel avantage? Dans le contexte des vérifications du printemps, aborder différents scénarios avant de prendre place dans le poste de pilotage ferait du bien et vous permettrait une transition sécuritaire vers un retour dans les airs. De nombreux clubs ont instauré, au printemps, un exposé obligatoire qui se déroule au sol et qui aborde les mesures de sécurité, à ne pas confondre avec la vérification en vol. Au club Great Lakes Gliding, nous organisons notre exposé à la fin mars, avant le début de la saison de vol, pour permettre aux personnes de se reconcentrer sur l’activité. Eh oui, c’est obligatoire.
Tandis que c’est bien beau pour un apprenant, après tout, comme le dit le proverbe, on n’apprend pas à un vieux singe à faire des grimaces. Les dernières avancées en neuroscience bouleversent notre compréhension de la plasticité cérébrale. Nous pensions que le cerveau des adultes n’évoluait plus, ne pouvait pas se modifier ni explorer de nouvelles voies, ni en effet, apprendre. Nous savons désormais ce que ce n’est pas le cas.
Carol Dweck, dans son livre précurseur, Changer d’état d’esprit : Une nouvelle psychologie de la réussite, décrit deux états d’esprit fondamentaux : l’état d’esprit fixe et l’état d’esprit de développement. Un état d’esprit fixe s’appuie sur le talent et l’opportunité. En bref, les individus à l’état d’esprit fixe se disent : « Je ne sais pas jouer au basketball ». Les individus à l’état d’esprit de développement se disent : « Je ne sais pas jouer au basketball, du moins pas encore. » Un état d’esprit de développement est ouvert, eh bien, au développement; l’individu accepte ne pas détenir toutes les réponses et qu’il reste toujours beaucoup de choses à apprendre.
La bonne nouvelle c’est que l’état d’esprit relève d’un choix. L’état d’esprit fixe peut être utilisé comme excuse (« Oh, je ne peux pas faire cela, je n’ai pas le talent. ») tandis qu’un état d’esprit de développement reconnaît que le talent rend une tâche ou activité particulière plus facile pour certains, mais que pratiquement quiconque peut y arriver avec assez de formation et de pratique. Ce concept a été rendu populaire dans Tous winners. Comprendre les logiques du succès. L’auteur, Malcolm Gladwell, propose une recette au succès. Les exceptions, les Michael Jordan, les Bill Gates, les Yo-Yo Ma n’y sont pas arrivés grâce à leur talent, mais grâce à une combinaison de passion, d’opportunité et de pratique. Oui, de pratique. Selon l’évaluation de Gladwell, le succès s’acquiert au bout de quelque 10 000 heures de pratique (une pensée déprimante pour un pilote qui dénombre moins de 1 000 heures de vol), mais il y a beaucoup de pratique en dehors du temps de vol effectué, heureusement.
À l’occasion d’un séminaire sur la sécurité de Transports Canada, il a été demandé aux pilotes étudiants présents de lever la main. Dean a levé la main. Combien d’heures? Il a répondu 4 000 heures. Dean, un pilote de ligne et un instructeur de planeur niveau 1, s’est identifié comme un éternel apprenant, un parfait exemple d’un état d’esprit de développement. Même s’il reconnaissait qu’il en savait beaucoup et qu’il détenait beaucoup de compétences, il cherchait à continuer à apprendre. Cet apprentissage continu n’a pas à prendre la forme de la prochaine qualification. Voler et s’envoler, dans une plus large mesure, est un voyage permanent d’apprentissage et de découverte. Nous avons besoin de regarder le monde avec humilité et émerveillement : l’humilité pour accepter les nouvelles données et l’émerveillement pour piquer notre curiosité à les chercher.
Alors qu’en est-il du pilote classique de 200 heures? Dans le monde du vol à moteur, c’est une zone statistiquement dangereuse. Le pilote a obtenu sa licence, a de l’expérience et commence à croire qu’il sait tout. C’est l’effet Dunning-Kruger, une tendance cognitive par laquelle les individus surestiment leurs propres capacités en se basant sur une connaissance limitée. Dans une étude sur les conducteurs, 88 % des conducteurs américains et 77 % des conducteurs suédois ont qualifié leur conduite de plus sécuritaire que la moyenne. Hmm...
Je crois pouvoir affirmer que nous avons tous succombé à cette tendance; je me rappelle un jeune cadet de l’air qui a reçu son permis le jour de ses 17 ans. Je réalise à quel point j’en savais peu il y a de cela toutes ces années. C’est là où l’humilité intervient. Dans mon entrevue pour vol libre 2016/1 avec Jan Juurlink, pilote de chasse militaire retraité et détenteur canadien d’un record national de vol à voile, ce dernier a évalué chacun de ses atterrissages. « Je ne me suis jamais donné un 10. Beaucoup de 9, quelques 5 » Tous les atterrissages que j’ai vus valaient des 10, et désormais je réalise que c’était l’humilité de Jan d’accepter qu’il n’était pas parfait qui était la clé.
Un jour, j’ai vu le décollage d’un SZD-55 effectué par un pilote expérimenté et totalisant un grand nombre d’heures de vol. L’aile s’est enfoncée, et le pilote a braqué les ailerons à fond pour redresser l’aéronef. Après son atterrissage, je l’ai interrogé sur ce qui s’était passé. Le pilote a juré qu’il avait utilisé la gouverne de direction et non les ailerons et il a déploré que c’était juste une réalité de l’aéronef. Je lui ai présenté des points convaincants et il a accepté à contrecœur mon observation. J’ai regardé son décollage suivant, et cette fois, lorsque l’aile s’est enfoncée, il a appuyé sur le palonnier et a ramené les ailes à l’horizontale plus rapidement.
Il avait oublié la leçon; notre conversation l’a ramenée à la surface, mais ce n’est que lorsqu’il a eu l’humilité d’accepter son erreur qu’il a pu corriger ses actions.
Nous faisons tous des erreurs. Avoir l’humilité de l’accepter, et reconnaître que nous pouvons et devrions continuer à apprendre et à nous améliorer, est un état d’esprit auquel j’aspire; et j’aime voler avec ce genre de pilotes humbles. Bon vol.
Références
Dweck, Carol (2010). Changer d’état d’esprit : Une nouvelle psychologie de la réussite. Éditions Mardaga.
Gladwell, Malcolm (2018). Tous winners. Comprendre les logiques du succès. Flammarion.
Frank, Adam (2018). “Science Says That to Fight Ignorance, We Must Start By Admitting Our Own (en anglais seulement).”
O’Hare, David, Mullen, Nadia et Arnold, Adele (2010). “Enhancing Aeronautical Decision Making through Case-Based Reflection”, The International Journal of Aviation Psychology.
Svenson, Ola (1980). “Are We All Less Risky and More Skillful than Our Fellow Drivers?”, Acta Psychologica.