Regard vers l’avenir : systèmes de vision en vol améliorée et autres nouvelles technologies permettant l’exploitation tous temps

par Benoît Saulnier, gestionnaire de programme, Normes de l’aviation commerciale, Aviation civile, Transports Canada

Figure 1 : Le lieutenant James H. Doolittle, de l’United States Army Air Corps, assis dans le poste de pilotage arrière du Consolidated NY-2 Husky NX7918, un avion d’entraînement muni d’instruments de vol expérimentaux
(Crédit : National Air and Space Museum, Smithsonian Institution [SI 79-9405]).

Le concept de l’exploitation tous temps a vu le jour à la fin des années 1920. À l’époque, plusieurs innovateurs du secteur de l’aviation cherchaient des façons de permettre aux avions de décoller et d’atterrir dans des conditions météorologiques de vol aux instruments (IMC). Leurs travaux ont donné naissance au système d’atterrissage aux instruments (ILS). Ce système est aujourd’hui utilisé à grande échelle comme l’un des principaux types d’aides à la navigation pour les procédures d’approche aux instruments. Au cours des années 1970, grâce à la mise au point de systèmes d’atterrissage automatique et des ILS de catégorie II (CAT II) et de catégorie III (CAT III), il a été possible de réduire considérablement, voire d’éliminer, les hauteurs de décision pour ces procédures d’approche aux instruments.

Les technologies modernes, comme les systèmes de vision en vol améliorée (EFVS) à infrarouge ou les systèmes de guidage par vision synthétique (SGVS) informatisés, nous permettent de repenser la manière dont l’exploitation tous temps est abordée. Cela permet de faire la transition d’un paradigme où les systèmes sont conçus de manière à ce que les références visuelles lors d’une approche aux instruments ne soient pas nécessaires pour effectuer un atterrissage à un paradigme où nous pouvons trouver de nouvelles manières de répondre à l’exigence d’acquérir des références visuelles lors d’une approche aux instruments.

Nouvelles technologies : Systèmes de vision en vol améliorée

Un EFVS est un système qui comprend un capteur infrarouge installé sur le nez de l’aéronef, lequel capture une image infrarouge de l’environnement extérieur devant l’aéronef. Cette image est ensuite affichée pour le pilote sur le dispositif de visualisation tête haute (HUD) ou un affichage équivalent. L’avantage des capteurs infrarouges utilisés par l’EFVS est que, dans bon nombre de conditions météorologiques, ils peuvent fournir une vue de l’environnement extérieur en utilisant le contraste thermique, lorsqu’il n’est pas possible de le faire à l’œil nu en raison d’un phénomène obscurcissant (par exemple, des nuages, du brouillard, de la neige, etc.).

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Figure 2 : Image produite par l’EFVS affichée sur le HUD d’un avion
(Crédit : CAE Inc. © CAE Inc. 2024)

Par conséquent, les aéronefs munis d’un EFVS certifié peuvent utiliser ce système pour acquérir les références visuelles dont les pilotes ont besoin pour poursuivre une approche aux instruments au delà de l’altitude ou de la hauteur de décision. Dans de nombreux cas, les EFVS se voient également attribuer un facteur de visibilité accrue, ce qui permet aux autorités de l’aviation civile d’accorder un crédit d’exploitation (c’est-à-dire une réduction de la visibilité minimale requise pour effectuer une approche aux instruments) sur la base de ce facteur de visibilité accrue. Les systèmes EFVS sont maintenant utilisés en toute sécurité aux États Unis et en Europe depuis plus de dix ans. Ils offrent une plus grande polyvalence en matière d’exploitation et un meilleur accès aux aérodromes en cas de visibilité réduite ou faible.

Quelles autres technologies peuvent être utilisées?

Jusqu’à présent, les EFVS ont surtout été utilisés à bord des avions d’affaires à large cabine, mais leur utilisation est encore très limitée à bord d’autres types d’aéronefs. Toutefois, d’autres types de technologies sont utilisés à bord d’un plus grand nombre d’aéronefs. Des technologies telles que le HUD, les systèmes de vision synthétique et les systèmes d’atterrissage automatique, peuvent également être utilisées pour améliorer l’accès aux aéroports lorsque l’aéronef est exploité par visibilité réduite ou par faible visibilité. Contrairement à un EFVS, où le système est utilisé comme solution de rechange pour acquérir des références visuelles requises afin d’amorcer le segment visuel d’une approche aux instruments, les systèmes susmentionnés permettent d’étendre le segment aux instruments à des altitudes ou hauteurs de décision inférieures. Bien que cela soit déjà le cas pour les approches ILS de CAT II et CAT III, ces technologies sont maintenant utilisées pour permettre de nouveaux types de procédures d’approche aux instruments avec des hauteurs de décision et des valeurs de visibilité requise inférieures.

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Figure 3 : Image produite par un système de vision combiné, incorporant des éléments EFVS et du système de vision synthétique (Crédit : CAE Inc. © CAE Inc. 2024).

Ces nouvelles procédures, comme les procédures d’approche ILS de CAT I et CAT II avec approbation spécifique, ont été adoptées avec succès par la FAA des États Unis et ailleurs dans le monde. L’un de leurs principaux avantages est qu’elles permettent d’effectuer des procédures d’approche aux instruments à des minimums d’approche inférieurs aux minimums d’approche de précision standard de catégorie I (CAT I), sur des pistes qui peuvent ne pas être munies de toutes les infrastructures coûteuses au sol qui sont généralement nécessaires pour les opérations ILS de CAT II et CAT III. Les lacunes de l’infrastructure au sol sont alors atténuées par ces systèmes d’aéronefs plus avancés comme le HUD, les systèmes de guidage par vision synthétique et les systèmes d’atterrissage automatique. Ce concept d’utilisation de l’équipement de bord pour permettre de voler avec des minimums d’approche inférieurs est également appelé minimums opérationnels d’aérodrome fondés sur les performances.

De quelle façon Transports Canada facilite-t-il cette transition?

L’Initiative de sécurité sur les interdictions d’approche est une excellente occasion de faire le point sur la manière dont d’autres autorités de l’aviation civile ont adopté de nouveaux systèmes et types de procédures d’approche aux instruments en vue d’améliorer l’accès aux aérodromes dans le cadre de l’exploitation tous temps de manière sécuritaire. Le succès de la mise en œuvre de ces systèmes et procédures aux États-Unis et en Europe s’explique en grande partie par l’approche fondée sur les données qui a mené à leur adoption. C’est sur cette approche que Transports Canada (TC) s’appuie pour intégrer ces systèmes au contexte canadien.

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Figure 4 : Système HUD, comme ceux qui peuvent être utilisés pour les procédures d’approche ILS CAT I avec approbation spécifique (Crédit : Bombardier Inc.).

Pour les vols avec EFVS, TC travaille sur une exemption globale au Règlement de l’aviation canadien (RAC). Cette exemption permettra les vols avec EFVS à court terme pendant que les travaux se poursuivent sur l’Initiative de sécurité sur les interdictions d’approche. Cette exemption globale sera conçue pour permettre aux exploitants aériens et aux exploitants privés d’effectuer des vols avec EFVS au Canada.

Des dispositions seront également ajoutées aux modifications réglementaires élaborées dans le cadre de l’Initiative de sécurité sur les interdictions d’approche, qui codifieront dans le RAC les exigences relatives aux vols avec EFVS au Canada. En ce qui concerne les autres nouvelles procédures, comme les procédures d’approche ILS de CAT I et CAT II avec approbation spéciale, TC travaille également à la mise en place de celles-ci. Les nouveaux critères d’approche aux instruments, qui seront publiés dans le TP308, Critères d’élaboration des procédures de vol aux instruments, Changement 9.0, modifieront la façon dont les minimums de visibilité en approche sont assurés par les pilotes. Cependant, ces nouveaux types de procédures sont destinés à faciliter l’accès continu à des aéroports tels ceux d’Ottawa, d’Edmonton et de Québec, qui ne disposent pas d’approches ILS de CAT II ou III. L’utilisation de ces nouvelles procédures d’approche aux instruments, ainsi que l’utilisation de l’EFVS, nécessitera une approbation spécifique/autorisation spéciale.

En conclusion, l’adoption de l’EFVS et d’autres nouvelles technologies permettant d’abaisser les minimums d’approche améliorera considérablement la polyvalence en matière d’exploitation des exploitants aériens. Elle assurera aussi l’amélioration continue de la capacité des pilotes d’atterrir en toute sécurité aux aérodromes dans des conditions de visibilité réduite. De plus, même si ces systèmes et procédures seront dans un premier temps plus avantageux pour les grands aéroports, l’installation de systèmes EFVS sur un plus large éventail d’aéronefs, au fur et à mesure que la technologie gagne en maturité, pourrait également améliorer l’accès aux aérodromes situés dans des régions plus reculées du pays. La technologie des capteurs ne cessant de s’améliorer, le progrès ne fait que commencer.

Benoît Saulnier est gestionnaire de programme au sein de la division des Normes de l’aviation commerciale. Avec un total de 4 500 heures de vol, Benoît est titulaire de qualifications de type pour l’Airbus A320, le Bombardier Global Express, le Dash 8 – Q400 et le Beech 1900. Il a aussi été instructeur à bord d’un large éventail de types d’aéronefs. Dans le cadre de ses fonctions au sein de TC, Benoît supervise l’élaboration de règlements, de normes et de documents d’orientation relatifs à l’aviation commerciale. Cela comprend l’élaboration de règlements et de documents d’orientation pour les EFVS et autres technologies émergentes.