Figure 1 : Température externe prévue de la citerne [K] après 30 min dans un feu en nappe
Résumé
Dans le cadre de cette recherche, Transports Canada a créé un modèle informatique d'une citerne mobile ISO UN-T75 contenant du gaz naturel liquéfié (GNL), et a utilisé ce modèle pour effectuer un certain nombre d'évaluations liées au rendement en cas d'incendie et d'impact, afin de comprendre comment ces citernes mobiles se comportent dans différents types de conditions d'accident.
Contexte
Le GNL est un gaz inflammable de classe 2.1, obtenu en refroidissant le gaz naturel (principalement composé de méthane) en dessous de son point d'ébullition afin qu'il puisse être expédié sous forme liquide. Le Règlement sur le transport des marchandises dangereuses (RTMD) de Transports Canada autorise actuellement le transport ferroviaire du GNL cryogénique au Canada dans des citernes mobiles ISO UN-T75 transportées sur des wagons à plate-forme, ainsi que dans des wagons-citernes TC-113.
Étant donné que la sécurité des citernes mobiles UN-T75 en cas d'incendie n'avait pas été vérifiée auparavant, la Federal Railroad Administration (FRA) du département des Transports des États-Unis (U.S. DOT FRA) a effectué des essais d'incendie à grande échelle en 2017 (en anglaise seulement) et 2022 (en anglaise seulement) afin d'obtenir des données sur la pression, la température et le flux de chaleur, et de surveiller le comportement des dispositifs de décharge de pression (DDP). [Note de bas de page 1, Note de bas de page 2] Ces données ont été fournies à Transports Canada pour les besoins de cette étude.
Objectif
L'objectif de Transports Canada dans le cadre de ces travaux consistait à utiliser les données d'essai au feu de la FRA pour soutenir la création d'un modèle d'éléments finis (EF) de la citerne mobile et de son chargement, afin d'élaborer une méthode analytique d'évaluation du rendement de ces citernes mobiles en matière de sécurité incendie.
Méthodes
Dans le cadre de travaux précédents pour Transports Canada, Friedman Research Corporation(FRC) a élaboré un modèle d'EF pour simuler le chauffage d'une citerne cryogénique ISO UN-T75 rempli à 60 % d'azote liquéfié et a utilisé le modèle Fire Dynamics Simulator (FDS)pour reproduire les conditions d'incendie et générer une condition limite de flux de chaleur. [Note de bas de page 3] Les travaux en cours sont fondés sur ce modèle d'EF et ont été organisés en six (6) tâches :
Tâche 1 : Modélisation d'une citerne UN-T75 contenant du GNL
Trois (3) approches ont été envisagées pour modéliser le chauffage du chargement de GNL, l'objectif étant d'inclure les réactions chimiques et le changement de phase afin de simuler avec précision le comportement du GNL dans un feu en nappe.
Tâche 2 : Raffinement du modèle sur la base du deuxième essai au feu
Les données de l'essai au feu de 2022, qui avait utilisé du GNL comme chargement, ont servi à valider la façon dont la citerne mobile modélisée s'échauffe et sa pression interne augmente. Les températures ont été enregistrées à l'aide de thermocouples immergés dans le fluide, dans l'espace vapeur, sur la surface intérieure de la citerne interne et sur la surface extérieure de la citerne externe. Le flux de chaleur incident a été mesuré à l'aide de thermomètres à flamme directionnelle (TFD) sur la citerne extérieure. Les données relatives à la pression interne de la citerne ont été recueillies à partir d'un capteur externe relié au réservoir par un tuyau fermé et le manomètre de la citerne. La pression dans l'espace annulaire a également été surveillée. Les différences de rendement de l'isolation ont été étudiées pour tenter de reproduire les résultats expérimentaux mesurés.
Tâche 3 : Simulation des effets d'un échappement de GNL par un DDP
Les modèles FDS ont été utilisés pour simuler le flux de GNL à travers un DDP et l'impact d'une flamme de chalumeau sur une citerne ISO-T75 voisine. Les débits massiques de GNL, la taille des flammes, la température et le flux de chaleur incident ont été estimés.
Tâche 4 : Prévision d'un événement de BLEVE
Le modèle informatique a été étendu au-delà des niveaux de chauffage et de mise en pression validés pour tenter de prédire les caractéristiques (p. ex., le temps écoulé avant l'événement, la pression) d'une BLEVE (détente explosive des vapeurs d'un liquide en ébullition), où la citerne se rompt lorsque le GNL contenu au-dessus de son point d'ébullition atmosphérique est rapidement exposé aux conditions ambiantes par la rupture de la citerne. Quatre (4) modèles ont été utilisés :
- un modèle thermique structurel avec changement de phase pour modéliser l'échauffement jusqu'au point de rupture de la citerne;
- un modèle thermique structurel pour prévoir le point de rupture de la citerne et la fragmentation qui s'ensuit;
- un modèle de dynamique des fluides compressibles (DFC) avec changement de phase pour étudier la faisabilité de l'évaluation de la réponse en champ proche du fluide immédiatement après la BLEVE;
- un modèle DFC pour modéliser la dispersion et l'inflammation des vapeurs après une BLEVE.
Une matrice de défaillance a été élaborée pour évaluer différents scénarios de chauffage, de remplissage et de dommages, ainsi que la présence d'obstacles dans l'environnement sur les caractéristiques des BLEVE prévues.
Tâche 5 : Prévision des effets des conditions de défaillance des DDP
Les DDP du premier essai au feu ont été installés dans un ensemble d'essai. Le rendement des DDP lors d'une expulsion d'eau ou d'azote liquide a été étudié, afin d'évaluer la pression d'ouverture et le débit massique, ainsi que le rendement général avec un liquide cryogénique. Le rendement a été comparé aux données d'essai du fabricant et aucun essai n'a été effectué sur un DDP intact.
Tâche 6 : Effets des conditions de renversement
Un modèle d'EF a été utilisé pour estimer les dommages subis par une seule citerne UN-T75 dans les scénarios suivants :
- un renversement depuis un wagon plat;
- un renversement depuis un wagon plat avec vélocité;
- un impact avec une culée de pont ou une ouverture de tunnel; et
- un impact avec un attelage de wagon en sens perpendiculaire et longitudinal.
Résultats
Tâche 1
La configuration initiale du modèle a permis d'utiliser à la fois des modèles d'équation d'état et de matériaux à base chimique pour simuler le chauffage et le changement de phase du gaz naturel.
Tâche 2
Les modèles ont permis de prévoir la température externe de la citerne à 200 K près pour la plupart des endroits, mais la prévision de la température interne du fluide ( Figure 2 ) pendant la partie de l'essai en volume fermé (avant l'activation du DDP) dépendait de la mise au point de la conductivité de l'isolation.
Figure 2 : Température du fluide [K] à 20 s (à gauche) et 6 min (à droite) montrant le mélange convectif et la stratification de la température; coupe transversale centrale de la citerne
Après l'ouverture du DDP, le changement de phase du chargement n'a pas pu être directement modélisé, mais la température et la pression prévues étaient encore comparables aux données d'essai.
Tâche 3
L'échappement d'azote observé lors du premier essai au feu et les dimensions calculées de la flamme de chalumeau de méthane ( Figure 3 ) pourraient être suffisamment importants pour porter atteinte aux autres wagons. Le modèle a permis de prévoir que dans un scénario de débit élevé, le flux de chaleur était plus élevé et plus localisé que le flux de chaleur d'un feu en nappe et pourrait être dirigé vers l'armoire de tuyauterie d'un réservoir adjacent, ce qui augmenterait la probabilité de défaillance des joints d'étanchéité en téflon du DDP.
Figure 3 : Impact d'une flamme sur un wagon à une distance d'écartement de 1 m, débit élevé
Tâche 4
Le Tableau 1 décrit les résultats des scénarios de BLEVE prévus, sur la base d'une température fixe de la citerne intérieure et de l'augmentation de pression supposée lors du deuxième essai au feu. Ces temps sont uniquement destinés à la comparaison entre les essais et ne constituent pas nécessairement une prévision du temps réel avant une BLEVE et ils devraient être utilisés comme comparaison relative entre les scénarios. Les temps indiqués dans le tableau 1 ne comprennent pas le temps nécessaire pour chauffer la citerne jusqu'à la température de feu des scénarios. Les scénarios comportant une température plus élevée avaient un temps de BLEVE plus court une fois la température du scénario atteinte, et une pression de défaillance plus faible. La présence de voies isolées pour le transfert thermique, telles que le bosselage de la coque extérieure, a également réduit le temps à la BLEVE.
Scénario |
Pression à la défaillance (normalisée) |
Temps avant la BLEVE (augmentation moyenne de la pression; min.) |
Temps avant la BLEVE (augmentation max. de la pression; min.) |
---|---|---|---|
FROID_TOUT |
1,00 |
125 |
86 |
CHAUD_TOUT |
0,45 |
55 |
43 |
CHAUD_MOITIÉ |
0,30 |
37 |
30 |
MILIEU_MOITIÉ |
0,53 |
65 |
48 |
FROID_MOITIÉ |
0,63 |
78 |
56 |
CHAUD_ISOL. |
0,75 |
93 |
66 |
MILIEU_ISOL. |
0,84 |
105 |
73 |
CHAUD_COMPLET |
0,20 |
24 |
22 |
MILIEU_COMPLET |
0,53 |
65 |
48 |
FROID_COMPLET |
0,65 |
80 |
58 |
CHAUD_VIDE |
0,45 |
55 |
42 |
MILIEU_VIDE |
0,55 |
68 |
50 |
FROID_VIDE |
0,65 |
80 |
58 |
En général, le point de défaillance initial se situait à l'emplacement du gradient de température le plus élevé dans la citerne où on constatait une différence d'accumulation des contraintes, comme indiqué dans la Figure 4 pour le scénario CHAUD_MOITIÉ.
Figure 4 : Schéma de fragmentation pour le scénario CHAUD_MOITIÉ
Dans les scénarios où la citerne atteint une BLEVE et le gaz s'enflamme immédiatement, les caractéristiques de la boule de feu variaient en fonction de la masse de GNL disponible dans la citerne au moment de la rupture et de la présence d'obstructions au sol.
Le modèle de dispersion prévoyait qu'en cas de BLEVE d'une citerne, mais sans que la vapeur ne s'enflamme immédiatement, une quantité suffisante de vapeur inflammable serait présente près du sol pour s'enflammer en présence d'une autre source d'inflammation.
Tâche 5
Les DDP mis à l'essai qui avaient été utilisés lors du deuxième essai au feu indiquaient que les dommages thermiques avaient entraîné une pression d'ouverture initiale inférieure à celle indiquée par les données du fabricant, ce qui pourrait entraîner une libération de vapeur à un débit légèrement supérieur à celui qui était prévu. Lors de la mise à l'air d'azote liquide, de la glace était susceptible de se former à l'intérieur et sur le dessus des DDP pendant la libération (Figure 5). En conséquence, on a constaté que le flux d'azote liquide à travers les DDP était extrêmement imprévisible et transitoire, tandis que le flux d'eau se produisait de manière plus prévisible.
Figure 5 : Coupe transversale d'un DDP avec les volumes ouverts présentant un risque d'accumulation de glace surlignés en jaune (à gauche); DDP gelé (à droite)
Les essais ont montré qu'à des températures plus froides, par rapport aux données du fabricant, la constante de ressort changeait et qu'une pression plus importante était nécessaire pour amorcer l'ouverture, ce qui pourrait retarder le délai d'ouverture en cas d'incident. L'interaction de ces effets entraîne en outre une incertitude quant au contrôle de la pression dans la citerne mobile en cas d'incendie.
Tâche 6
Les citernes n'étaient pas susceptibles de se rompre dans les scénarios de renversement, que ce soit avec ou sans vitesse longitudinale. Les scénarios qui comprenaient des impacts avec d'autres objets, tels que des culées ou des wagons-citernes, étaient susceptibles d'entraîner une défaillance de la citerne (p. ex. Figure 6).
Figure 6 : UN-T75 avant (en haut) et après (en bas) un impact avec une culée (libération de méthane en bleu)
Conclusion
Un vaste ensemble de données générées à partir de deux essais au feu de citernes UN-T75 a été utilisé pour appuyer l'élaboration de plusieurs modèles qui ont démontré d'importantes capacités. Le rapport souligne le niveau de confiance pour chacun d'entre eux et cerne les caractéristiques les plus importantes nécessitant des améliorations ou des données supplémentaires.
Parmi les principales constatations, mentionnons les suivantes :
Tâches 1 et 2
- Le transfert thermique prévu dans le GNL à partir du feu en nappe dépendait fortement de la définition des propriétés d'isolation de la citerne. L'intensité prévue du mélange convectif dans la citerne interne a également eu une incidence sur le transfert thermique.
Tâche 3
- Une flamme de chalumeau d'échappement de GNL provenant d'une mise l'air d'un DDP peut entraîner un flux de chaleur localisé plus important vers une citerne voisine que le feu en nappe lui-même.
Tâche 4
- Dans les scénarios de BLEVE, une rupture plus rapide de la citerne intérieure était prévue lorsque cette dernière était maintenue à des températures plus élevées, et la rupture a été observée à l'endroit où le gradient de température était le plus élevé.
- Les cas de défaillance de citerne avec un échauffement plus localisé, représentatif du contact externe-interne de la citerne lors du flambage, ont produit les tailles de fragments prévues les plus importantes. Dans ces cas de chauffage localisé, il semble que la citerne se soit rompue à des pressions plus basses que si une plus grande partie de la citerne intérieure avait été exposée aux mêmes températures.
- La vitesse des fragments augmentait avec la pression interne au moment de la défaillance.
- La taille de la boule de feu, l'ampleur du flux thermique et la durée du flux thermique après la BLEVE ont tous augmenté avec l'accroissement de la masse de GNL au moment de la rupture.
- La réaction prévue de la boule de feu et de la dispersion des gaz après la BLEVE est sensible à la nature de la défaillance du réservoir, à la masse de GNL et à tout obstacle pouvant être présent dans l'environnement.
Tâche 5
- L'environnement cryogénique et l'environnement d'incendie auxquels le DDP est soumis pourraient avoir une incidence négative sur le rendement de celle-ci. Il peut en résulter des risques accrus, tels qu'un mauvais fonctionnement du DDP en raison d'une accumulation de glace ou des modifications de la constante de ressort, par rapport aux données du fabricant.
Tâche 6
- Le risque de défaillance des citernes UN-T75 lors de déraillements augmente lorsque ces derniers sont causés par des impacts contre des objets fixes, des caractéristiques de terrain ou d'autres wagons. En soi, un renversement n'a pas entraîné la défaillance des citernes, mais il pourrait entraîner une inversion de celles-ci susceptible de dégrader ou d'entraver le rendement des DDP. En tout état de cause, la perte de l'enveloppe extérieure et de l'isolation qui l'accompagne augmenterait le risque de défaillance d'une citerne en cas d'incendie dans cette zone.
Interventions futures
Les organisations partenaires du GMU continueront à réviser régulièrement le GMU pour s'assurer que les mesures d'urgence recommandées sont à jour par rapport à tout changement dans les conditions de transport des marchandises dangereuses.
Références
- Footnote 1
- Footnote 2
-
US DOT FRA, « Fire Test of an UN-T75 Portable Tank on a Flat Car Phase II | FRA (dot.gov) (en anglais seulement) » (2023).
- Footnote 3
-
FRIDEMAN, K., et G. Mattos, Friedman Research Corporation. « Analysis of Liquid Nitrogen Test Data », rapport non publié pour Transports Canada (2018).
Titre : Modelling of ISO [UN-T75] Portable Tank Fire Test (2023)
Auteurs : K. Friedman and Gs. Mattos
Numéro de TP : TP 15556E
ISBN : 978-0-660-49317-6
Numéro de catalogue : T44-3/35-2023E-PDF
Remerciements
Ce projet a été financé par Transports Canada et mené par Friedman Research Corporation (FRC).
TC remercie la FRA du département des Transports des États-Unis et son contractant, Southwest Research Institute (SRI), pour le soutien qu'ils lui ont apporté en lui fournissant des données d'essai au feu.
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Pour obtenir une copie du rapport, veuillez communiquer avec nous :
Division de la recherche scientifique du TMD
TC.TDGScientificResearch-RecherchescientifiqueTMD.TC@tc.gc.ca
Mots clés
GNL, UN-T75, citerne mobile, liquide cryogénique, essais au feu, BLEVE, renversement, modélisation, simulation, DDP, marchandises dangereuses, transport, rail