Répercussions des limiteurs de vitesse obligatoires à bord des camions sur la sécurité routière au Canada

TP14807 F

RÉSUMÉ

Introduction

Un certain nombre d'administrations nord-américaines (au niveau fédéral et provincial) envisagent des mesures législatives pour réduire les coûts de l'énergie, les émissions des véhicules et les risques d'accident en limitant la vitesse maximale des poids lourds.

L'Ontario a déposé le projet de loi 41, la Loi de 2008 modifiant le Code de la route (systèmes limiteurs de vitesse), le 19 mars 2008, pour imposer le limiteur de vitesse aux véhicules commerciaux (Assemblée législative de l'Ontario, 2008). Le projet de loi 41 est une modification proposée au Code de la route de l'Ontario qui exigerait que les poids lourds soient munis d'un limiteur de vitesse dont la vitesse maximale serait fixée à 105 kilomètres/heure (km/h). Les principaux appuis à cette mesure viennent de l'Alliance canadienne du camionnage et de l'Association du camionnage de l'Ontario. Le Québec a déjà adopté une mesure semblable, qui exige l'activation de tout limiteur de vitesse déjà installé sur un véhicule et le réglage de la vitesse maximale à 105 km/h. L'Union européenne et l'état australien de la Nouvelle-Galles du Sud imposent, elles aussi, le limiteur de vitesse pour les poids lourds.

Objet de l'étude

La présente étude a essentiellement pour objet d'évaluer les effets sur la sécurité de l'imposition du limiteur de vitesse aux poids lourds (pesant plus de 11 794 kg) à différentes vitesses maximales, dont le plafond de 105 km/h retenu par l'Ontario et le Québec. Dans le présent rapport, le terme « sécurité » englobe à la fois la fréquence des accidents impliquant des poids lourds et la gravité de ces accidents pour différents types de routes et conditions d'écoulement de la circulation.

Mesure du rendement en matière de sécurité

Pour évaluer les effets sur la sécurité de l'imposition du limiteur de vitesse aux camions, on a mis au point, dans le cadre de la présente étude, un modèle microscopique de simulation de l'écoulement de la circulation qui donne des estimations « en temps réel » précises du rendement de sécurité (ou du potentiel d'accidents) et qui évalue de quelle façon cette mesure de rendement varie selon différents réglages de la vitesse maximale dans différents scénarios de géométrie routière et de conditions d'écoulement de la circulation.

Pour une paire de véhicules donnée, le rendement de sécurité dépend des vitesses critiques des véhicules et des profils de décélération pouvant entraîner un accroissement de la turbulence de la circulation et du risque d'accident. La mesure est appelée indice de potentiel d'accidents (IPA). Pour un intervalle de temps et une trajectoire de véhicules donnés, l'IPA indique la probabilité que le taux de décélération d'un véhicule suiveur requis pour éviter un accident avec un véhicule suivi dépasse son taux de décélération maximal possible. D'autres mesures du rendement de sécurité sont tirées de l'IPA, comme l'IPA par véhicule (IPA/véhicule), l'IPA du 85e centile (IPA85) ainsi que le nombre et le pourcentage de véhicules en conflit correspondant à un seuil de conflit préétabli.

Calibrage et cadre d'application du modèle

On a calibré et validé un modèle microscopique de simulation de l'écoulement de la circulation qui donne des mesures précises et fiables de l'IPA en temps réel pour différents scénarios de géométrie routière et d'écoulement de la circulation. La précision est assurée en considérant des paramètres d'entrée réalistes pour la simulation d'après des données réelles de suivi de véhicules.

La plateforme de simulation retenue pour étudier les effets sur la sécurité des limiteurs de vitesse des camions est le modèle VISSIM (version 4.3). Le cadre de l'étude comporte cinq étapes :

  1. Détermination d'indicateurs de rendement de sécurité utiles;
  2. Calibrage du modèle VISSIM à l'aide de paramètres d'entrée réalistes;
  3. Validation des résultats du modèle VISSIM pour un échantillon indépendant de données de circulation réelles;
  4. Détermination de la relation entre le rendement de sécurité et la fréquence d'accidents observée;
  5. Définition de scénarios de géométrie routière et de niveaux d'écoulement de circulation pertinents pour étudier les effets des limiteurs de vitesse.

Les données de suivi de véhicules utilisées pour calibrer le modèle et valider les résultats de rendement de sécurité ont été obtenues du programme Next Generation SIMulation (NGSIM) administré par l'Administration fédérale des autoroutes (Federal Highway Administration) des États-Unis (FHWA, 2007).

Scénarios pertinents modifiant le rendement de sécurité

Pour évaluer les effets sur la sécurité de l'instauration des limiteurs de vitesse, la présente étude considère plusieurs scénarios de géométrie routière et d'écoulement de la circulation. Les configurations géométriques d'autoroute considérées sont les suivantes : segment droit, segment incluant une bretelle de sortie, segment incluant une bretelle d'entrée et bretelles d'entrée et de sortie combinées.

Les scénarios d'écoulement de la circulation considérés sont les suivants :

  • Débit de circulation élevé (2 000 véhicules par heure et par voie) et bas (500 véhicules par heure et par voie)
  • Pourcentages de camions dans le courant de circulation élevé (15 %) et bas (2,5 %)
  • Taux de conformité approximatif à l'imposition du limiteur de vitesse de 75 % et de 100 %
  • Utilisation non obligatoire du limiteur de vitesse (35 % du volume de camions avec réglage à 105 km/h)

En plus des scénarios de géométrie routière et d'écoulement de la circulation ci-dessus, plusieurs réglages de la vitesse maximale des poids lourds sont considérés :

  • 110 km/h
  • 105 km/h
  • 100 km/h
  • 90 km/h
  • 80 km/h

Les vitesses de 110 km/h et 105 km/h ont été choisit afin d'inclure les réglages de vitesse maximale récemment retenus par l'Ontario et le Québec. Les autres vitesses maximales ont permis d'apprécier la sensibilité des effets sur la sécurité. Pour évaluer les effets des limiteurs de vitesse sur la sécurité dans un corridor réel, le modèle à été appliqué à l'autoroute Queen Elizabeth Way (QEW) en direction est dans la région de Halton, soit le segment allant du chemin Guelph Line à la promenade Burloak.

Détermination de la relation entre l'IPA et la fréquence réelle des accidents

Comme le soulignent Gettman et Head (2003a) la question de la relation entre le rendement de sécurité à la fréquence des accidents ne consiste pas à savoir si ces indicateurs peuvent reproduire avec exactitude les accidents réels, mais plutôt s'ils peuvent être corrélés avec les caractéristiques de la circulation associées à des situations dangereuses à un endroit et à un moment donné. Cela signifie que les indicateurs ne doivent pas tant prédire avec exactitude les accidents que de distinguer les situations à risque élevé (crash occurrence) et à faible risque (non-crash occurrence) dans un courant de circulation donné.

Une procédure adoptée dans le cadre de l'étude compare les IPA simulés aux accidents observés dans un échantillon d'accidents extrait des données d'une période de cinq ans (1997-2001) obtenue sur un segment instrumenté de l'autoroute QEW dans la région de Peel. Pour ces accidents, le système de gestion de la circulation automobile (SGCA) peut donner la vitesse, le débit et le type de véhicules en tranches de 20 secondes à différents points de détection au sol. L'exploitation de cette information et des registres d'accidents permet d'analyser le rendement de sécurité simulé pour le courant de circulation en temps réel dans les environs de chaque accident et pour une certaine période de temps avant chaque accident.

Résultats de la mise en relation entre l'IPA et la fréquence des accidents

Deux mesures de sécurité ont été simulées pour chacun des 20 accidents de l'échantillon extrait des registres du SGCA : 1º l'IPA/véhicule moyen et 2º l'IPA85 moyen. Ces mesures ont été obtenues à des intervalles d'une minute pour une période de cinq minutes avant chaque accident. L'IPA/véhicule a été obtenu en additionnant toutes les valeurs individuelles de l'IPA divisées par le nombre de véhicules dans la simulation. Les résultats sont illustrés sur la figure A pour les deux types d'accident, soit les accidents de faible gravité ou n'ayant causé que des dommages matériels et les accidents avec blessures non mortelles ou de gravité élevée. L'IPA/véhicule moyen a été obtenu en additionnant les IPA de tous les véhicules et accidents et en divisant par le débit pour tous les accidents. Cette valeur moyenne a été déterminée pour dix simulations indépendantes.

Figure A – Rendement de sécurité en fonction du temps, selon la gravité des accidents, pour un échantillon de 20 accidents sur l'autoroute QEW.

Pour les 20 accidents représentés sur la figure A, on observe une baisse du rendement de sécurité (ou une augmentation du risque d'accident) au fur et à mesure qu'approche le moment de l'accident. La relation semble être non linéaire et donne à penser que l'IPA/véhicule moyen augmente au fur et à mesure qu'approche le moment de l'accident. La figure A laisse aussi voir une tendance à la hausse de l'IPA/véhicule au fur et à mesure qu'augmente la gravité de l'accident. Ceci appuie l'idée que des valeurs plus élevées de l'IPA/véhicule correspondent à une plus grande gravité des accidents.

Résultats généraux de l'application du modèle

L'étude a donne un certain nombre de résultats importants :

  • L'imposition du limiteur de vitesse réglé à 105 km/h (comme le prévoient les mesures législatives de l'Ontario et du Québec) accroît la sécurité en situation de circulation fluide dans toutes les configurations géométriques, particulièrement dans le segment droit. Les gains de sécurité liés à l'imposition du limiteur de vitesse sont moins importants lorsque la vitesse maximale est réglée 110 km/h. Ce résultat vaut en situation de circulation fluide. Les gains de sécurité maximaux sont obtenus lorsque la vitesse maximale est réglée à 90 km/h et que la circulation est fluide.
  • Les gains de sécurité liés à l'imposition du limiteur de vitesse réglé à 105 km/h diminuent lorsque le débit et le pourcentage de camions augmentent.
  • Un débit de circulation proche de la capacité (2 000 véhicules par heure et par voie) donne lieu à davantage d'interactions entre les véhicules, ce qui diminue la sécurité, particulièrement sur les segments de route où se produisent le plus grand nombre de manoeuvres d'insertions dans le courant de circulation et de changements de voie, comme près des bretelles d'entrée et de sortie. Dans ces situations, l'imposition du limiteur de vitesse aux camions pourrait abaisser le niveau de sécurité.
  • Une augmentation de la conformité accroît légèrement la sécurité dans le cas où le limiteur de vitesse est imposé. Il faut aussi noter que si le débit et la proportion de camions augmentent, les gains de sécurité associés à une conformité générale sont contrecarrés par la turbulence accrue de la circulation.

L'étude de cas de l'autoroute QEW confirme les résultats des analyses ci-haut mentionnées. L'imposition du limiteur de vitesse réglé à 105 km/h procure des gains de sécurité statistiquement significatifs le long du corridor de l'étude de cas par rapport au scénario de référence (sans limiteur obligatoire). On a effectué 30 simulations qui ont donné un gain de sécurité (IPA/véhicule) moyen de 16 %. Des gains de sécurité sont observés dans 21 cas. Les différentes valeurs de l'IPA/véhicule entre le scénario de référence et la situation dans laquelle le limiteur de vitesse est imposé ont donné d'importantes valeurs positives qui donnent à penser que le limiteur entraînerait des gains de sécurité dans le corridor en question.

Une étude parallèle des effets des limiteurs de vitesse sur la sécurité des routes rurales à chaussée unique et à deux voies a été effectuée en s'appuyant sur une revue des études antérieures complétée par une analyse des profils de vitesse des poids lourds en Alberta et en Saskatchewan, ainsi qu'un examen des politiques relatives aux vitesses maximales autorisées sur les toutes dans l'ensemble du Canada. Les résultats montrent que la vitesse maximale autorisée sur une route rurale à chaussée unique et à deux voies est généralement de l'ordre de 80 à 90 km/h. Elle peut toutefois aller jusqu'à 100 km/h. Les données montrent que dans ce cas, environ 40 % des camions se déplacent à des vitesses supérieures à 105 km/h.

L'imposition du limiteur de vitesse sur les routes rurales à chaussée unique et à deux voies peut entraîner une augmentation du nombre de manoeuvres de dépassement dans la voie de circulation en sens inverse. La possibilité d'un nombre accru de ces manoeuvres dangereuses peut donc poser des défis particuliers en termes de sécurité. Une étude plus approfondie de cette situation s'impose avant de pouvoir porter un jugement définitif sur les effets en termes des sécurité des limiteurs de vitesse pour camions sur ce type de routes.