Transports Canada introduit de nouvelles orientations concernant les rapports de freinage

par Robert Kostecka, inspecteur de l’aviation civile travaillant dans l’équipe des Normes relatives aux aérodromes

Il a été responsable de la mise en œuvre du Format mondial de notification (GRF) au Canada et travaille actuellement sur une initiative réglementaire de Transports Canada, Aviation civile [TCAC] concernant l’interdiction d’approche. Il détient des qualifications de type sur A320, A330, A340, A380, B757, B767, CRJ, DHC-8, B-25 et BE200, ainsi qu’une qualification d’instructeur de vol de classe 1. Il compte 13 000 heures de vol au total, dont 4 000 en tant que commandant de bord de gros aéronefs à réactions de la catégorie transport.

Les dangers et les risques associés à l’exploitation d’aéronefs sur des pistes mouillées ou contaminées par de l’eau, de la neige fondante, de la neige, de la neige durcie, du givre ou de la glace, et les nombreux accidents qui se sont produits dans ces conditions, sont bien connus et ont été documentés en détail.

Au Canada, ces accidents ont impliqué plusieurs types d’aéronefs de la catégorie transport, dont l’Airbus A340, l’Embraer 145, le Boeing 727 et le Boeing 737, ainsi que divers autres aéronefs. Les sorties en bout de piste figurent sur la Liste de surveillance du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) depuis 2010. Le BST a notamment déclaré que « La neige, la pluie et la glace ont des répercussions sur l’état de la surface des pistes. Pour calculer la distance nécessaire à un atterrissage en toute sécurité, les pilotes ont besoin de données exactes et à jour sur l’état de la piste, et ce, en toute saison ».

Les défis posés par l’exploitation d’aéronefs sur des pistes mouillées et contaminées ont été reconnus par le milieu de l’aviation internationale comme un problème de sécurité critique auquel il faut trouver des solutions.

Évaluation des performances au décollage et à l’atterrissage (TALPA)

Aux États-Unis, la sortie en bout de piste mortelle d’un Boeing 737 à Chicago Midway (KMDW), en décembre 2005, a amené la Federal Aviation Administration (FAA) à convoquer un comité consultatif d’établissement de règles pour l’évaluation des performances de décollage et d’atterrissage (TALPA ARC). Les membres du TALPA ARC comprenaient des représentants des autorités de l’aviation civile (FAA, TCAC, Agence européenne de la sécurité aérienne [AESA] et National Civil Aviation Agency [ou ANAC]), des grands constructeurs d’aéronefs (Boeing et Airbus), des exploitants aériens, des aéroports et des associations, ainsi que divers autres groupes (syndicats de pilotes et autres).

Les travaux novateurs de l’ARC TALPA ont permis d’améliorer considérablement la façon dont l’état de la surface des pistes (RSC) est signalé et traité sur le plan opérationnel.

GRF pour rendre compte de l’état de la surface de la piste

L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) a rendu obligatoire le compte rendu de l’état de surface des pistes selon un GRF fondé sur les méthodes et la terminologie de mesure des performances établies par la TALPA. TCAC, de concert avec NAV CANADA et d’autres intervenants de l’industrie, a travaillé activement pour implanter le GRF au Canada. Ce format a été mis en œuvre avec succès le 12 septembre 2021, soit près de deux mois avant la date cible de l’OACI.

Le GRF de l’OACI fournit une terminologie et des critères d’évaluation des pistes cohérents, présentés dans un format normalisé qui est utilisé par :

  • des exploitants d’aéroports, pour rendre compte de l’état de la surface de leurs pistes;
  • des constructeurs d’aéronefs, pour préparer l’information sur les performances de leurs appareils fondée sur des méthodes améliorées (c.-à-d. fondée sur la TALPA);
  • des équipages de conduite qui utilisent l’état déclaré de surface des pistes et l’information sur les performances fondées sur la TALPA pour évaluer les performances au décollage et à l’atterrissage.

Matrice d’évaluation de l’état des pistes (RCAM)

La composante principale du GRF est une matrice qui établit l’équivalence entre l’état normal d’une piste, les codes utilisés par les aéroports pour transmettre de l’information sur l’état des pistes, les rapports de freinage et les directives techniques sur la performance des aéronefs. La RCAM permet d’harmoniser les observations des aéroports avec l’évaluation des performances à l’atterrissage communiquée par l’équipage de conduite à l’heure réelle d’arrivée (HRA), ce qui représente une amélioration importante par rapport aux anciennes méthodes et pratiques. Une copie de RCAM est reproduite à la page 25.

Tableau 1 — Matrice d’évaluation de l’état des pistes (RCAM)
Critères d’évaluation Critères de maitrise en direction et d’efficacité de freinage
Description de la surface de la piste RWYCC Observation de la décélération du véhicule ou de la maitrise en direction Efficacité de freinage selon le pilote
  • SÈCHE
6 sans objets/o sans objets/o
  • GIVRE
  • MOUILLÉE (la surface de piste est couverte de toute humidité visible ou d’eau d’une épaisseur inférieure ou égale à 1/8 pouces [3 mm])

Épaisseur inférieure ou égale à 1/8 pouces [3 mm] :

  • NEIGE FONDANTE
  • NEIGE SÈCHE
  • NEIGE MOUILLÉE
5 La décélération au freinage est normale compte tenu de l’effort de freinage exercé sur les roues et la maitrise en direction est normale BONNE
Température de l’air extérieure de -15°C :
  • NEIGE DURCIE
4 La décélération au freinage ou la maitrise en direction se situe entre bonne et moyenne BONNE À MOYENNE
  • GLISSANTE LORSQUE MOUILLÉE (piste mouillée)
  • NEIGE SÈCHE OU NEIGE MOUILLÉE (toute épaisseur) SUR NEIGE DURCIE

Épaisseur supérieure à 1/8 pouce (3 mm) :

  • NEIGE SÈCHE
  • NEIGE MOUILLÉE

Température de l’air extérieure supérieure à -15°C :

  • NEIGE DURCIE
3 La décélération au freinage est sensiblement réduite compte tenu de l’effort de freinage exercé sur les roues ET la maitrise en direction est sensiblement réduite MOYENNE
Épaisseur de plus de 1/8 pouce (3 mm) :
  • EAU STAGNANTE
  • NEIGE FONDANTE
2 La décélération au freinage ou la maitrise en direction se situe entre moyenne et faible MOYENNE À FAIBLE
  • GLACE
1 La décélération au freinage est sensiblement réduite compte tenu de l’effort de freinage exercé sur les roues ou la maitrise en direction est sensiblement réduite FAIBLE
  • GLACE MOUILLÉE
  • NEIGE FONDANTE SUR GLACE
  • EAU SUR NEIGE DURCIE
  • NEIGE SÈCHE ou NEIGE MOUILLÉE SUR GLACE
0 La décélération au freinage varie de minimale a inexistante compte tenu de l’effort de freinage exercé sur les roues ou la maitrise en direction est incertaine MOINS QUE FAIBLE/NULLE

La RCAM donne des codes d’état de piste (RWYCC), qui sont attribués par l’exploitant de l’aéroport ou de l’aérodrome. Le RWYCC est un chiffre, de 0 à 6, qui représente la glissance d’un tiers de piste précis et permet de communiquer cette information aux pilotes sous une forme abrégée et normalisée.

En général, la RCAM est un outil utile et efficace pour prédire la glissance de la piste, en fonction de la description de la surface de la piste observée (c.-à-d. le type et la profondeur de la contamination). Toutefois, la piste peut être plus glissante que ne l’indiquent la description de la surface de la piste et le RWYCC correspondant dans certaines circonstances, notamment :

  • des précipitations en cours ou des conditions évoluant rapidement;
  • tout processus qui transfère de la chaleur à la surface et peut rendre la piste plus glissante. La chaleur peut provenir des pneus de l’aéronef, de l’échappement des moteurs et de l’inversion de poussée, en plus des conditions atmosphériques et des précipitations;
  • un traitement de la surface de la piste, notamment avec des produits chimiques de dégivrage ou d’antigivrage, rendant la piste temporairement plus glissante;
  • le système d’antidérapage d’un aéronef qui réagit différemment de ce qui est prévu.

La RCAM tient également compte des rapports de freinage des pilotes. Ces niveaux de freinage, tels qu’observés par le pilote d’un avion, sont exprimés à l’aide de termes normalisés, notamment : bonne, bonne à passable, passable, passable à faible, faible et moins que faible/nulle.

L’importance des rapports d’efficacité de freinage

Des rapports de freinage précis et exacts peuvent être un moyen efficace d’atténuer les dangers potentiels engendrés par les circonstances décrites ci-dessus. À cet égard, les rapports de freinage jouent un certain nombre de rôles très importants et sont utilisés :

  • par les pilotes pour faire l’évaluation des performances à l’atterrissage à l’HRA;
  • par les exploitants d’aéroports et d’aérodromes pour valider le RWYCC préliminaire dans un NOTAM sur le RSC;
  • par les exploitants d’aéroports ou d’aérodromes pour prendre des mesures spécifiques lorsque des rapports de freinage faible ou moins que faible/nul sont reçus.

Pour remplir efficacement les fonctions importantes énumérées ci-dessus, il est important que les équipages de conduite et les exploitants d’aéroports et d’aérodromes disposent de rapports de freinage fiables.

Limitations et lacunes

Bien que les rapports de freinage des pilotes soient très importants, il existe de nombreuses preuves que ces rapports n’ont pas toujours été cohérents :

  • Le rapport du National Transportation Safety Board (NTSB) sur l’accident survenu le 8 décembre 2005 à l’aéroport international Midway de Chicago, conclut que [traduction] :
    • - … les rapports de freinage des pilotes sont subjectifs et peuvent varier considérablement en fonction du niveau d’expérience du pilote et du type d’aéronef utilisé…
    • - … les rapports de freinage des pilotes sont subjectifs et reflètent les attentes, les perceptions et les expériences de chaque pilote…
    • - … les rapports de freinage des pilotes tiennent compte du type d’aéronef et des méthodes de décélération réelles utilisées pour ralentir ou arrêter l’aéronef…
  • TCAC a également reçu des commentaires importants des exploitants d’aéroport lors de la mise en œuvre du GRF au Canada, à l’effet que les rapports de freinage des pilotes étaient parfois incohérents.

Recherche d’une solution

L’importance des rapports de freinage des pilotes, et leurs lacunes bien connues, ont obligé TCAC à chercher une solution. Heureusement, la Society of Aircraft Performance and Operations Engineers (SAPOE) avait déjà fait de grands progrès dans la résolution des problèmes posés par le manque de cohérence des rapports de freinage. La SAPOE a été développée par des membres du TALPA ARC; alors que le TALPA ARC finissait son mandat, les membres des sous-comités de la partie 25 (certification des aéronefs) et de la partie 121 (compagnies aériennes) ont conclu que leur partenariat unique devrait se poursuivre et ont donc créé la SAPOE.

L’un des problèmes abordés par la SAPOE était les rapports de freinage. La SAPOE a ainsi défini le problème :

  • la RCAM fournit un moyen de prédire les performances d’atterrissage, mais ne fournit pas de moyen de valider cette prédiction.
  • il est bien établi que les rapports de freinage des pilotes sont trop imprécis et subjectifs pour servir de base à une analyse valable.

Pour étudier ces problèmes, la SAPOE a mis en place un groupe de travail appelé Lion Team, chargé d’établir des normes pour les technologies d’enregistrement et de rapport sur l’adhérence des roues d’aéronefs. La Lion Team de la SAPOE a ainsi élaboré deux normes internationales qui ont été publiées par ASTM International :

  • ASTM E3188, Standard Terminology for Aircraft Braking Performance;
  • ASTM E3266, Standard Guide for Friction Limited Aircraft Braking Measurement and Reporting.

Mise en œuvre de la solution : nouvelles orientations publiées par TCAC

La Lion Team de la SAPOE, sous la direction du commandant de bord John Gadzinski, a généreusement appuyé TCAC dans le développement d’un document d’orientation (fondé sur les normes ASTM E3188 et ASTM 3266) destiné à aider les pilotes à fournir des rapports de freinage plus objectifs et plus précis (c.-à-d. fiables). TCAC a publié ces résultats dans la Circulaire d’information (CI) 700-600 — Rapports de freinage.

La CI 700-060 vise à fournir des renseignements et des conseils aux pilotes et aux exploitants concernant l’observation, le signalement et l’utilisation opérationnelle des rapports de freinage des aéronefs, notamment :

  • les rapports de freinage des pilotes;
  • les rapports de freinage des avions.

Les renseignements et les conseils présentés dans la CI sont destinés à :

  • permettre aux équipages de conduite de rendre compte avec précision et cohérence du niveau de freinage des roues constaté à l’atterrissage, ce qui constitue un contrôle de sécurité essentiel pour les niveaux de freinage prédictifs indiqués dans la RCAM;
  • établir une phraséologie pertinente aux fins de communication des rapports de freinage avec les services de la circulation aérienne (ASTM E3188 et ASTM 3266);
  • expliquer les principes techniques utilisés pour définir l’efficacité du freinage, tels que détaillés par les normes de l’industrie (ASTM E3188 and ASTM 3266).

La CI 700-060 a suscité de l’intérêt à l’échelle mondiale. À l’automne 2021, des centaines de professionnels de l’aviation du monde entier, y compris des représentants des principales autorités de l’aviation civile, de l’OACI, des grands constructeurs aéronautiques, des compagnies aériennes internationales, des associations de pilotes et autres, ont participé à une série de séances d’information concernant la nouvelle circulaire CI 700-060. La FAA incorpore d’ailleurs le contenu de la CI 700-060 (ainsi que des parties de la CI 700-057, Format mondial de notification [GRF] du compte rendu de l’état de la surface de la piste : document d’orientation pour les opérations aériennes), dans son propre matériel d’information.

Conclusion

La mise en œuvre réussie du GRF constitue une avancée majeure dans la lutte contre les dangers et les risques associés aux opérations des aéronefs sur des pistes mouillées ou contaminées. La CI 700-060, premier document d’orientation sur les rapports de freinage émanant d’une autorité de l’aviation civile, est une amélioration supplémentaire qui s’appuie sur les avancées significatives en matière de sécurité réalisées grâce au GRF.

Grâce à l’aide et au soutien inestimables du commandant de bord John Gadzinski et de la Lion Team de la SAPOE, TCAC a franchi une étape importante dans l’amélioration de la sécurité des vols pour les Canadiens et pour la communauté aéronautique internationale.