par Robert Kostecka, inspecteur de la division des normes de vol, Aviation civile, Transports Canada
Au fil des ans, de nombreux accidents et incidents liés aux approches et aux atterrissages dans des conditions de visibilité réduite sont survenus. Le Bureau de la sécurité des transports (BST) a fait part, à juste titre, de son inquiétude quant à la persistance de ces incidents, même après la mise en œuvre de la réglementation actuelle sur les interdictions d’approche.
Entre décembre 2006 (date d’entrée en vigueur de la réglementation actuelle) et mai 2020, le BST a relevé 32 événements qui sont survenus à la suite d’approches effectuées avec des repères visuels insuffisants. Des 32 incidents, 18 de ceux-ci sont survenus lors d’atterrissages dans des conditions météorologiques où la visibilité signalée était inférieure à la visibilité indiquée dans la procédure d’approche aux instruments (IAP).
L’analyse des accidents et des incidents survenus quand la visibilité était inférieure à celle indiquée sur la carte montre clairement que les approches dans ces conditions comportent un niveau de risque accru. Tel est le problème fondamental que Transports Canada (TC) cherche à résoudre par le biais de l’Initiative de sécurité sur les interdictions d’approche.
Pour mieux comprendre ce problème de sécurité important, ainsi que les mesures nécessaires pour y remédier, le présent article donnera un aperçu :
- de l’importance de respecter la visibilité indiquée sur les cartes pour réduire les risques;
- de l’importance de rectifier la situation actuelle au Canada; et
- des solutions en cours d’élaboration pour résoudre les problèmes de sécurité qui ont été relevés.
L’importance de respecter la visibilité indiquée sur les cartes pour réduire les risques
La visibilité indiquée sur la carte d’une IAP a une fonction très importante. Elle précise la visibilité minimale à laquelle les pilotes doivent disposer de repères visuels suffisants pour passer au vol à vue et atterrir sans problème.
Lors d’une approche aux instruments, pour poursuivre la descente jusqu’à l’atterrissage, le pilote doit établir la référence visuelle requise au plus tard à l’altitude de décision (DA), à la hauteur de décision (DH) ou à l’altitude minimale de descente (MDA). Lorsque la descente vers l’atterrissage se poursuit, le pilote doit disposer d’une visibilité suffisante pour :
- évaluer la position de l’aéronef par rapport à la piste;
- garder le contrôle de la trajectoire de vol tant latéralement que verticalement;
- contrer l’effet du vent de travers et prévenir la dérive latérale;
- aligner le fuselage pendant l’atterrissage avec arrondi; et
- maintenir la maîtrise directionnelle au poser des roues et à l’atterrissage.
La visibilité indiquée sur une carte d’IAP est la visibilité minimale requise qui permet au pilote de disposer de repères visuels suffisants pour effectuer en toute sécurité les tâches critiques susmentionnées, tout en poursuivant la descente (au-dessous de la DA, de la DH ou de la MDA) jusqu’à l’atterrissage.
La visibilité indiquée sur les cartes est établie selon les exigences précisées dans le TP 308, Critères d’élaboration des procédures de vol aux instruments. Ces exigences portent notamment sur le type d’approche, la DH ou la hauteur au-dessus de la zone de poser (HAT) et le balisage lumineux d’approche, entre autres.
Dans le monde, conformément à la norme de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), la visibilité signalée doit être égale ou supérieure à la visibilité indiquée sur les cartes pour effectuer le segment d’approche finale d’une approche aux instruments. En d’autres termes, la visibilité minimale requise est la visibilité indiquée sur les cartes.
En revanche, au Canada, la visibilité indiquée sur les cartes est simplement considérée comme une « visibilité recommandée ». Pour les raisons décrites ci-dessous, cette situation doit changer.
L’importance de rectifier la situation actuelle au Canada
Actuellement, en vertu du Règlement de l’aviation canadien (RAC), les exploitants aériens sont autorisés à effectuer une approche aux instruments avec 75 % de la visibilité indiquée sur les cartes, et ceux qui disposent d’une approbation spécifique peuvent être autorisés à effectuer une approche aux instruments avec seulement 50 % de la visibilité indiquée sur les cartes. Les exploitants aériens ne sont pas tenus de respecter la visibilité indiquée sur les cartes au nord du 60e parallèle, sauf si la portée visuelle de piste (RVR) est signalée.
Pour l’aviation générale, l’interdiction d’approche indique une visibilité inférieure à une RVR A de 1200 pieds et une RVR B de 600 pieds. Cela signifie que les pilotes et les exploitants de l’aviation générale doivent respecter les mêmes exigences de visibilité pour les approches aux instruments que les pilotes de ligne effectuant des approches de catégorie II. Il convient de noter que cette exigence ne s’applique qu’aux pistes équipées pour mesurer la RVR et que les pilotes de l’aviation générale ne disposent pas de l’équipement de bord, de l’équipement au sol ou de la formation nécessaires pour effectuer des opérations de catégorie II.
Si l’on tient compte de la réglementation en vigueur, il faut se rappeler que, conformément aux critères de conception d’approche, la visibilité indiquée sur les cartes est la visibilité minimale requise afin que le pilote dispose de repères visuels suffisants pour poursuivre en toute sécurité la descente (au-dessous de la DA, de la DH ou de la MDA) jusqu’à l’atterrissage. La réglementation en vigueur repose sur l’utilisation d’une partie de la visibilité indiquée sur les cartes (c’est-à-dire une partie de la visibilité minimale imposée par les critères de conception d’IAP).
Position du Canada en ce qui concerne la réglementation sur les interdictions d’approche
Selon l’article 700.10 du RAC, tout exploitant commercial peut effectuer des approches avec 75 % de la visibilité indiquée sur les cartes.
Ce n’est que 75 % de la visibilité minimale requise afin que le pilote dispose de repères visuels suffisants pour poursuivre en toute sécurité la descente (au-dessous de la DA, de la DH ou de la MDA) jusqu’à l’atterrissage.
Selon les articles 703.41, 704.37 et 705.48 du RAC, les exploitants commerciaux disposant d’une approbation spécifique peuvent effectuer des approches avec une visibilité égale à 50 % de la visibilité indiquée sur les cartes.
Ce n’est que 50 % de la visibilité minimale requise afin que le pilote dispose de repères visuels suffisants pour poursuivre en toute sécurité la descente (au-dessous de la DA, de la DH ou de la MDA) jusqu’à l’atterrissage.
L’article 700.10 du RAC stipule qu’il n’y a pas d’exigence de visibilité en approche au nord du 60e parallèle, sauf si la RVR est signalée.
L’article 602.129 du RAC stipule qu’il n’y a pas d’exigence de visibilité en approche pour l’aviation générale, sauf si la RVR est signalée.
Illustrations par Robert Kostecka
Les risques associés à l’exécution d’une approche lorsque la visibilité est inférieure à celle indiquée sur la carte sont bien décrits dans le rapport A15H0002 du BST. La collision avec le relief, qui a fait l’objet du rapport, s’est produite le 29 mars 2015 à Halifax (Nouvelle-Écosse), alors que la visibilité signalée était égale à 50 % de la visibilité indiquée sur la carte. Le rapport souligne des éléments, tels que les attentes de l’équipage de conduite et la tendance à s’en tenir au plan, qui sont communs à d’autres accidents et incidents survenus lors d’approches avec une visibilité inférieure à celle indiquée sur la carte. Ces facteurs humains sont décrits en détail dans le document Mordre à l’hameçon : comprendre les facteurs humains contribuant aux accidents liés à une approche par faible visibilité, qui figure plus loin dans cette édition.
Lors d’une enquête subséquente sur un autre accident survenu alors que la visibilité signalée était inférieure à la visibilité indiquée sur la carte (rapport A18Q0030 du BST), le BST a également souligné la complexité de la réglementation et des procédures en vigueur pour déterminer la visibilité en approche. La complexité de la réglementation permettant de déterminer si un équipage de conduite est autorisé à effectuer une approche est amplifiée par un autre ensemble complexe d’exigences liées au niveau de service de la piste; ces exigences sont utilisées afin de déterminer si la visibilité est suffisante pour exploiter l’aérodrome. En outre, la hiérarchie des rapports de visibilité utilisée pour le niveau de service de la piste est également trop compliquée et ne concorde pas avec la hiérarchie des rapports de visibilité utilisée dans la réglementation sur les interdictions d’approche.
Pour illustrer la situation, le BST a produit un diagramme décrivant ces deux processus décisionnels distincts et non harmonisés. Ce diagramme est officieusement appelé « diagramme spaghetti ».
Les pilotes estiment que la réglementation en vigueur est trop compliquée, porte à confusion, et génère une charge de travail inutile et crée des distractions pendant les phases critiques du vol. Plusieurs exploitants aériens ont également fait part de leurs préoccupations en matière de sécurité quant à la complexité excessive de la réglementation en vigueur et ont demandé qu’elle soit modifiée.
Compte tenu de la situation actuelle, le BST a formulé deux recommandations clés qui nécessitent des mesures :
- Recommandation A20-01 du BST — Minimums d’atterrissage au Canada :
- Le Bureau de la sécurité des transports du Canada a recommandé que le ministère des Transports revoie et simplifie les minimums opérationnels pour les approches et les atterrissages aux aérodromes canadiens.
- Recommandation A20-02 du BST — Minimums d’atterrissage au Canada :
- Le Bureau de la sécurité des transports du Canada recommande que le ministère des Transports instaure un mécanisme pour stopper les approches et les atterrissages qui sont en réalité interdits.
Les solutions en cours d’élaboration pour résoudre les problèmes de sécurité qui ont été relevés
La réglementation proposée par le Canada prescrirait la visibilité requise pour effectuer le segment d’approche finale d’une approche aux instruments d’une manière simple et directe. En d’autres termes, la visibilité signalée doit être égale ou supérieure à la visibilité indiquée pour l’IAP.
Pour faciliter ce changement, les critères de conception d’IAP sont mis à jour afin de s’assurer que la visibilité requise indiquée pour toutes les approches aux instruments sera supérieure ou égale au niveau de service de la piste.
De plus, TC a procédé à un examen approfondi des processus de détermination de la visibilité requise pour toutes les phases de vol. Au cours de cet examen, de nombreuses améliorations possibles ont été cernées; ces améliorations seront effectuées en simplifiant et en harmonisant les hiérarchies des rapports de visibilité pour toutes les phases de vol.
Ces modifications visent à éliminer les deux processus de décision distincts que les pilotes doivent actuellement suivre pour déterminer la visibilité requise pour l’approche et l’atterrissage. L’harmonisation des hiérarchies des rapports de visibilité simplifierait également le processus de prise de décision pour le décollage.
TC élabore également des dispositions prévoyant des exceptions particulières à la règle générale. Les dispositions proposées visent à offrir une marge de manœuvre opérationnelle, tout en veillant au respect des impératifs de sécurité.
L’objectif de TC est partagé par tous les pilotes et exploitants : améliorer la sécurité des vols. Les propositions de règlement sont conçues pour résoudre les problèmes de sécurité fondamentaux qui ont été recensés. Elles ont également pour but d’aider les pilotes et les exploitants en mettant à leur disposition une réglementation facile à comprendre et à appliquer.
Robert Kostecka est un inspecteur de la division des Normes de vol. Robert est titulaire de qualifications de type pour une variété aéronefs Airbus et Boeing, ainsi que le DHC-8 et le CRJ. Ses 13 000 heures de vol comprennent 4 000 heures en tant que commandant de bord de gros avions à réaction de transport. Il a été instructeur à bord d’une grande variété de types d’aéronefs et possède une qualification d’instructeur de vol de catégorie 1. L’expérience de Robert à TC comprend la direction de l’élaboration de documents d’orientation concernant les opérations aériennes sur des pistes mouillées et contaminées et sa participation à l’équipe internationale qui a mené l’évaluation opérationnelle de l’Airbus A380.