Rapport final Groupe de travail du Conseil consultatif sur la sécurité ferroviaire sur les enregistreurs de conversations et les enregistreurs vidéo à bord des locomotives

Considérations du Groupe de travail

En effectuant son examen des enregistreurs de conversations à bord des locomotives et des enregistreurs vidéo orientés vers l’intérieur de la cabineNote de bas de page 10, les membres du Groupe de travail ont étudié les questions suivantes :

  • utilisation/avantages sur le plan de la sécurité;
  • enjeux d'ordre juridique ou liés à la protection des renseignements personnels;
  • statistiques sur les enquêtes/accidents;
  • analyse coûts-avantages;
  • autres modes;
  • pratiques dans d'autres pays;
  • enjeux technologiques;
  • approches réglementaires/volontaires;
  • autres mesures possibles.

Utilisation/avantages sur le plan de la sécurité

Dès le début des délibérations, le Groupe de travail a étudié les utilisations et les avantages possibles de l'installation des enregistreurs de conversations à bord des locomotives (et des enregistreurs vidéo).

Le Groupe de travail a conclu que, dans un scénario courant et (le BST ayant un accès exclusif aux renseignements), il y avait peu d'avantages, voire aucun. Les membres ont également convenu que les enregistreurs représentaient un outil d'enquête après les faits plutôt qu'un instrument proactif et préventif de sécurité.

Enjeux d'ordre juridique ou liés à la protection des renseignements personnels

Les membres du Groupe de travail ont également dû prendre en considération les opinions et les interprétations divergentes en ce qui concerne la portée et l'applicabilité de la Loi sur le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports (Loi sur le BCEATST).

Les membres du Groupe de travail ont convenu que l'absence de clarté quant à l'applicabilité et à la portée de la Loi sur le BCEATST était problématique et pourrait donner lieu à une contestation judiciaire.

Les membres ont accepté à l'unanimité de résoudre la question de la portée et de l'applicabilité de la Loi sur le BCEATST, même si elle ne faisait pas partie du mandat du Groupe de travail, étant donné qu'elle aurait un impact sur les options que recommanderait le Groupe de travail.

Statistiques sur les enquêtes/accidents

Même si le Groupe de travail était incité à se pencher sur l'accident récent du train de VIA qui a eu lieu à Burlington et qui a suscité beaucoup d'attention, il a pris en compte les statistiques sur les enquêtes et les accidents qui suivent.

Depuis 1991, plus de 600 enquêtes ferroviairesNote de bas de page 11 ont été menées par le BST. En date d'octobre 2012, le BST a mentionné les enregistreurs de conversations dans cinq enquêtes seulement, ce qui représente environ moins d'un pour cent de toutes les enquêtesNote de bas de page 12.

Sur les cinq enquêtes, trois trains de voyageurs de Via Rail étaient impliqués.

Il est important de noter que le BST enquête toujours sur un autre accident, celui de Burlington, qui a donné lieu à la création du Groupe de travail, où le BST a indiqué que les enregistreurs de conversations auraient été utiles pour son enquête.

Compte tenu de cette information, les membres du Groupe de travail ont convenu que le nombre d'accidents et le taux d'enquête ne justifiaient pas la présence obligatoire des enregistreurs de conversations et des enregistreurs vidéo, s'ils ne sont utilisés que pour les enquêtes après des incidents.

Analyse coûts-avantages

Étant donné les inquiétudes de l'industrie au sujet des coûts et de sa capacité d'utiliser les enregistrements, et compte tenu du fait qu'elle appuie l'installation des enregistreurs de conversations et des enregistreurs vidéo seulement quand les compagnies de chemin de fer ont accès à l'information en vue de contrôler la conformité, le Groupe de travail a demandé à l'industrie de fournir une analyse coûts-avantages.

Le CN et le CP ont effectué une analyse coûts-avantages sur l’installation des enregistreurs orientés vers l’intérieur de la cabine et les enregistreurs de conversations en tenant compte des trois scénarios suivants :

  • utilisation aux fins d'enquête par le BST seulement;
  • utilisation par les compagnies de chemin de fer après un accident ou un incident;
  • enquête et contrôle de la conformité par les compagnies de chemin de fer.

Comme l'industrie a estimé que le coût d'installation serait de 10 000 $ par locomotiveNote de bas de page 13, il faudrait environ 22 millions de dollars pour équiper l'ensemble du parc de locomotives de grande puissance du CN et du CP. Les coûts de maintenance par année étaient estimés entre 250 $ à 500 $ par année par locomotiveNote de bas de page 14.

Les avantages seraient associés à une réduction des infractions, des accidents ou des incidents mettant en cause des locomotives de train de marchandises où l'inattention de l'équipe pourrait avoir joué un rôle.

Si on se base sur les données historiques des cinq dernières annéesNote de bas de page 15, en moyenne, 146 de ces événements ont lieu chaque annéeNote de bas de page 16. Le coût de ces événements (dommages et blessures) s'élèverait à environ 6 millions de dollars par annéeNote de bas de page 17. L'analyse a également montré que le BST avait enquêté sur seulement sept de ces événements sur une période de cinq ans, ce qui représente une moyenne de 1,4 par année, soit 1 % des événementsNote de bas de page 18.

Selon l'analyse, les avantages suivants pourraient être obtenus pour chacun de ces trois scénarios.

  1. Limités à l'enquête du BST sans que les compagnies de chemin de fer puissent en faire usage afin de contrôler la conformité ou aux fins de mesures disciplinaires. Serviraient dans seulement 1,4 événement par année.

    Note de bas de page 19Efficacité estimée = 3 %.

    L'avantage serait de 180 k$ par année. Délai de récupération de 122 ans.

  2. Utilisation par les compagnies de chemin de fer, mais seulement après les accidents/incidents. Serviraient dans 146 événements par année.

    Efficacité estimée = 15 %.

    L'avantage serait de 900 k$ par année. Délai de récupération de 24,5 ans.

  3. Utilisation par les compagnies de chemin de fer dans le cadre du contrôle de la sécurité et de la conformité. Serviraient quotidiennement.

    Efficacité estimée = 33 %.

    L'avantage serait de 2 M$ par année. Délai de récupération de 11 ans.

Par conséquent, en ce qui concerne le CN et le CP, seulement le dernier scénario (utilisation par les compagnies de chemin de fer dans le cadre du contrôle de la sécurité et de la conformité) pourrait justifier le coût des installations.

VIA a estimé que le coût pour mettre en place les enregistreurs de conversation à bord de son parc serait de 300 000 $ environNote de bas de page 20. VIA a souligné que ce coût pourrait changer en fonction de la réussite des essais sur prototype et de la nécessité d'effectuer d'autres ajustements de conception.Note de bas de page 21

Il faut souligner que, pour l'instant, les fournisseurs actuels de la technologie ne peuvent pas garantir la résistance aux chocs des enregistreurs de conversations, ce qui pourrait aller à l'encontre de leur utilisation. Les coûts devraient croître d'environ 20 % selon les estimations.Note de bas de page 22

Autres modes

En examinant les pratiques des autres modes de Transports Canada, on remarque que l'Aviation civile et la Sécurité maritime ont élaboré, à l'origine, leur réglementation respective en matière d'enregistreurs de conversations afin de respecter les obligations internationales (c. à d. dans le cadre de l'Organisation de l'aviation civile (OACI) et de l'Organisation maritime internationale (OMI). En ce qui concerne le mode ferroviaire, aucune organisation internationale générale ne prescrit ou ne recommande des obligations et des pratiques. Ceci étant dit, la Sécurité ferroviaire de TC et la FRA continuent de travailler ensemble afin d'harmoniser les exigences réglementaires de sécurité ferroviaire à l'échelle de l'Amérique du Nord, dans la mesure du possible.

On remarque également que les environnements respectifs d'exploitation de ces modes sont très différents du mode ferroviaire. Dans le secteur ferroviaire, la communication n'est pas nécessaire à bord de la locomotive pendant de longues périodes de temps. Dans l'ensemble, les communications dans la locomotive consistent en des signaux d'appel et en la confirmation d'ordres de limitation de vitesse. En ce qui concerne les locomotives dans les principaux corridors (comme Toronto, Montréal et Vancouver), les communications représenteraient environ 50 % du temps de trajet/voyage). En ce qui concerne les embranchements et les compagnies de chemin de fer de courtes distances (comme celles qui sont exploitées dans les Prairies ou pour le transport du grain), les communications représenteraient environ 5 % du temps de trajet/voyage.

Le groupe de travail a également fait remarquer ce qui suit :

  • À l'heure actuelle, les enregistreurs embarqués (orientés vers l'équipe) ne sont pas obligatoires à l'Aviation civile ou à la Sécurité maritime;
  • À l'Aviation civile, après un vol sans incident, les enregistrements sont « épurés »;
  • Les enregistrements de conversations à l'Aviation civile et à la Sécurité maritime relèvent de la Loi sur le BCEATST et, par conséquent, l'information est privilégiée. Toutefois, comme cela a déjà été mentionné, une récente décision du tribunal a établi un précédent jurisprudentiel dans lequel il a été déterminé que l'information recueillie au cours d'une enquête n'était pas protégée une fois l'enquête terminée;
  • À l'Aviation civile et à la Sécurité maritime, les enregistrements de conversations ne sont pas utilisés aux fins du contrôle de la conformité ni aux fins de mesures disciplinaires, étant donné que cela serait une violation de la Loi sur le BCEATST (paragraphe 28(7)).

Pratiques dans les autres pays

Europe

Les enregistreurs de conversations et les enregistreurs vidéo dans les cabines des conducteurs ne sont pas connus en Europe. Les systèmes de surveillance connus sont les suivants : enregistrement des communications radio, enregistrement des sous systèmes techniques dans les locomotives (comme la traction, les freins, le dispositif de vigilance, la vitesse, l'utilisation du sifflet), enregistrement du fonctionnement du système automatique de protection des trains et enregistrement vidéo externe des signaux le long de la voie.

Le concept de l'enregistrement des conversations et de l'enregistrement vidéo à bord des locomotives n'est pas pris en compte par les pays européens.

Nouvelle-Zélande et Australie

En Nouvelle-Zélande et en Australie, il n'y a ni système d'enregistrement des conversations dans les cabines, ni système d'enregistrement vidéo dans les cabines pour surveiller le comportement du conducteur. Les conversations radio dans les trains sont enregistrées dans les centres de contrôle, pas à bord de la locomotive. Grâce à des systèmes enregistreurs de données, l'activité du conducteur et la vitesse sont contrôlées, et les enregistrements sont conservés pendant sept jours. Par ailleurs, à bord des nouveaux trains, il existe un contrôle vidéo des passages à niveau, des intrus, des enregistreurs de signaux et de tout autre problème externe à la cabine.

L'accès à l'enregistrement des données (enregistreur d'événements) dans la locomotive et aux renseignements d'enregistrement de contrôle du train (enregistrements du CCF) doit être effectué en présence d'un représentant syndical; il peut également être effectué en vue d'une observation aléatoire ou en cas d'incident réel.

Le concept d'enregistrement des conversations et d'enregistrement vidéo à bord des locomotives n'est pas pris en compte en Nouvelle Zélande ni en Australie.

États-Unis

Le 23 février 2010, le National Transportation Safety Board a émis une nouvelle recommandationNote de bas de page 23 à la FRA afin d'exiger l'installation d'enregistreurs de conversations et de caméras orientées vers l’intérieur des cabines de locomotives. Il a également recommandé que la FRA exige que les compagnies examinent et utilisent régulièrement les enregistrements d'images et de conversations dans les cabines (avec des limites appropriées quant à la publication), en même temps que d'autres données sur le rendement, afin de vérifier que les mesures des équipes de train respectent les règles et les procédures essentielles à la sécurité.

La FRA a répondu qu'elle ne souhaitait pas faire des enregistreurs de conversations et des enregistreurs vidéo une exigence réglementaire ...l'utilisation de l'enregistrement de conversations et d'images aux fins de mesures disciplinaires dans le secteur ferroviaire minerait le moral des employés, et cela pourrait donner lieu à une application de la loi sélective et à des représailles contre les employés pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la sécurité. Afin de créer une culture de la sécurité positive dans le secteur ferroviaire du pays, il faudra éviter ce type d'influence corrosive.Note de bas de page 24

Même s'il a été souligné que le NTSB des É.-U. recommandait l'installation par les compagnies de chemins de fer d'enregistreurs de conversations afin de surveiller la conformité des employés et que la FRA n'allait pas dans cette direction, les représentants des syndicats du Groupe de travail ont fait remarquer que cela dépasserait la portée et l'intention des recommandations du BST.

Comme cela a déjà été souligné, la Sécurité ferroviaire de TC et la FRA continuent de travailler ensemble afin d'harmoniser les exigences réglementaires de sécurité ferroviaire à l'échelle de l'Amérique du Nord dans la mesure du possible.

Enjeux technologiques

Les représentants de l'industrie ont indiqué que les fournisseurs actuels de la technologie ne pouvaient pas, pour l'instant, garantir la résistance aux chocs des enregistreurs de conversations. Selon les estimations, le coût augmenterait d'environ 20 % et les fournisseurs auraient besoin d'un délai de réapprovisionnement de 18 mois en vue du développement.